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Quatrième
croisade


 
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Recherches
académiques


 


Godefroi de Bouillon menant
ses hommes à la croisade





   I. Origine de la croisade et discours de Clermont

   II. La croisade "populaire"

   III. La croisade des "barons": de Clermont à Constantinople

   IV. De Constantinople à Nicée

   V. De Nicée à Antioche

   VI. Siège d'Antioche

   VII. D'Antioche à Ascalon

   VIII. Autres documents du XIIe siècle

   IX. Index onomastique

   X. Bibliographie d'articles traitant de la première croisade







Le départ pour la croisade (Statuts de l'Ordre du Saint-Esprit, XIVe siècle,
Bibliothèque nationale, Paris, MS Fr. 4274, f. 6)





I. L'Origine de la croisade et le discours de Clermont



Deus lo volt! Deus lo volt!


Le concile de Clermont se termina par le fameux appel aux armes d'Urbain II qui connut un succès retentissant et donna naissance à la première croisade. L'origine du mouvement fut attribuée au pape Urbain, mais il exista pendant longtemps une légende qui imputait l'initiative à Pierre l'ermite. Ce dernier aurait convaincu le pape de prêcher la croisade. Cette histoire fut propagée par les écrits d'Anne Comnène et de Guillaume de Tyr. Ce ne fut qu'au XIXe siècle que cette légende fut discréditée par l'ouvrage d'Hagenmeyer, Peter der Eremite. Pierre n'aurait été qu'un diffuseur du message pontifical. Par contre, quelques critiques se firent entendre récemment et le débat est loin d'être clos. Le pape prit ses contemporains par surprise, mais la croisade fut rapidement acceptée, démontrant que la population était prête. D'abord, il serait important d'examiner le contexte avant le concile de Clermont.



Carte basée sur celle dans Kenneth Setton, A History of the Crusades, Madison, The University of Wisconsin Press, 1969, vol. 1, p. 2.




L'Europe avant Clermont


Pour commencer, l'idée de porter la guerre sainte aux Musulmans n'était pas une nouveauté. Le pape Grégoire VII avait déjà proposé une force expéditionnaire pour aider les Byzantins, après leur défaite à Manzikert en 1071, contre les Turcs seldjoukides. Le basileus Michel VII avait demandé de l'aide au pape, car l'empire était au prise avec les Turcs seldjoukides à l'est, les Petchenègues dans les Balkans et les Normands en Italie du sud. À la fin de 1074, le pape pensait lui-même diriger cette expédition. Par contre, la lutte qui s'engagea avec l'empereur Henri IV (La Querelle des Investitures) l'en empêcha et il dut se mettre à dos les Byzantins en s'alliant avec les Normands et Robert Guiscard. Ce dernier entreprenait au moment même une invasion de la péninsule balkanique. Aussi, Grégoire excommunia Nicéphore III, le nouvel empereur byzantin. De cette façon, les Byzantins virent Grégoire comme un pape "normand", donc un ennemi et donnèrent des subsides à Henri IV dans sa lutte contre la papauté. L'espoir du pape de terminer le Schisme de 1054 s'effondrait. Grégoire mourut en 1085, ainsi que Guiscard. Suite à Victor III, l'Église eut avec Urbain II, en 1088, un dirigeant capable de sauver la papauté dans la crise où elle se retrouvait. En 1089, Urbain commença un rapprochement avec Constantinople, levant l'excommunication imposée par Grégoire VII. Il assura l'empereur Alexis Comnène que les Normands n'étaient plus un danger pour l'empire. Ainsi, il obtint sa faveur et remporta une victoire diplomatique (Byzance appuyait Henri IV). Pour sa part, Alexis espérait recevoir de l'aide militaire, mais le pape n'avait pas encore assez de prestige en Occident. Le basileus avait demandé de l'aide fréquemment avant même le concile de Plaisance; il voulait des mercenaires, non des armées pour une guerre sainte. Par exemple, il reçut 500 cavaliers flamands du comte Robert I de Flandres, vers 1090. Après avoir renforcé sa position en Italie, Urbain entra à Rome en 1094 et convoqua le concile de Plaisance en mars 1095. Ensuite, il commença son voyage en France méridionale. Pourquoi la France?

La France féodale comprenait un surplus considérable de guerriers. De nombreux jeunes hommes, cadets de familles nobles, sans héritage et entraînés au métier des armes, se tournaient vers le brigandage et l'aventure à l'étranger. La Paix de Dieu et la Trêve de Dieu ne suffisaient pas pour arrêter les guerres privées et les rapines. La société française fut chanceuse, car de nombreux jeunes guerriers turbulents allèrent combattre à l'étranger pour des terres ou du butin: en Angleterre, en Espagne, en Italie méridionale ou en Sicile. Le pape savait bien que la France était un excellent terrain de recrutement. De plus, selon certains chroniqueurs qui reproduisirent son discours plus tard, le pape était intéressé à ramener la paix à l'intérieur de la chrétienté. Comment? En envoyant les " fauteurs de troubles " dans des guerres étrangères, tout en espérant qu'ils n'en reviennent pas. D'autant plus, de nombreux Français avaient participé à la reconquête de l'Espagne et la puissante Cluny avait beaucoup fait pour donner à cette lutte les caractéristiques d'une guerre sainte. La France méridionale comprenait bien la guerre sainte. D'ailleurs, il serait important de faire la distinction entre croisade et guerre sainte. La croisade est avant tout un pèlerinage armé, donc si nous parlons de la " reconquête " espagnole, nous ne pouvons parler de " croisades ", mais plutôt de guerres sacralisées par la papauté.

Aussi, les pèlerins qui visitaient Saint-Jacques-de-Compostelle entendaient des légendes remplies de propagande pour la guerre sainte. D'ailleurs, la Chanson de Roland était écrite vers la fin de ce siècle. Les mentalités étaient prêtes.

Donc, l'idée de proclamer la croisade n'est pas née d'un seul coup dans la tête du pape le 27 novembre 1095 à Clermont. Celui-ci avait planifié tout. D'ailleurs, il s'était assuré le concours de plusieurs grands seigneurs laïcs avant même de prêcher son discours. Baudri de Dol affirmait que suite au discours d'Urbain II, des envoyés de Raymond de Saint-Gilles, comte de Toulouse, arrivèrent et annoncèrent la participation de leur maître.



Concile de Clermont


La délégation pontificale arriva à Clermont le 14 novembre 1095 et le concile commença le 18 du même mois. Le nombre de participants ecclésiastiques était grand, mais varie selon les sources. Selon Foucher de Chartres et Guibert de Nogent, 400 évêques et abbés y étaient. La France méridionale était la mieux représentée.

Le concile s'attarda surtout sur des affaires ecclésiastiques et seulement deux canons peuvent être vus comme touchant la croisade. Un proclamait la Trêve de Dieu; l'autre promettait l'indulgence plénière (une rémission des peines dues pour des péchés commis) pour ceux qui, par dévotion seulement, iraient libérer l'église de Dieu à Jérusalem.


Urbain II présidant le concile de Clermont, miniature dans Les passages faits Outremer par les Français contre les Turcs et autres Sarrazins de Sébastien Mamerot, 1490, Bibliothèque Nationale, Paris.

Ainsi, une fois les affaires de l'Église terminées, le 27 novembre, le pape se dirigea hors de la ville pour s'adresser à une foule considérable. Le discours qu'il fit nous est connu grâce à plusieurs chroniqueurs qui nous laissèrent des versions divergentes quant aux paroles prononcées par le pape. D'abord, qui était présent à Clermont? Selon l'historien Frédéric Duncalf, quatre chroniqueurs étaient présents: Foucher de Chartres, Baudri de Dol, Robert le Moine et Guibert de Nogent (1). Pour sa part, Jonathan Riley-Smith et Jean Flori écrivaient que Guibert était probablement absent (2). Par contre, Flori ajoutait un quatrième témoin oculaire, Geoffroy de Vendôme (3). Il serait important de mentionner la version rapportée par Ordéric Vital qui a pu consulter des documents relatifs au concile. Donc, nous avons décidé de reproduire les quatre versions les plus connues du discours:



   Version de Robert le Moine

   Version de Foucher de Chartres

   Version de Guibert de Nogent

   Version de Baudri de Dol

   L'origine de la croisade selon Anne Comnène



Les divergences des versions peuvent s'expliquer, en partie, par le fait que les chroniqueurs écrivirent après plusieurs années. Il est plus probable qu'ils écrivaient les idées principales du discours d'Urbain II que son contenu exact. D'ailleurs, Jean Flori remarquait, avec justesse, que l'interprétation globale de la croisade chez chaque médiéviste dépend de son approche personnelle face au discours hypothétique de Clermont. Il existe donc différentes interprétations lorsque vient le temps de définir ce qu'est la croisade (4) et le débat est loin d'être clos parmi les historiens.

Ce qui ressort des quatre versions, c'est l'appel pour aider les chrétiens orientaux, que Foucher, Robert et Baudri mentionnent. Un autre point important est celui de la croisade comme instrument de pacification. Le pape, en envoyant des chevaliers turbulents se battre (et se faire tuer) dans une guerre étrangère, assurait ainsi la paix au sein de la chrétienté, ce que Foucher, Robert et Baudri racontent. De plus, Ubain II ne négligea pas de mentionner les gains matériels, Robert et Baudri l'affirment. Un point litigieux pour certains, Jérusalem était-il le but principal? Selon quelques historiens, ce sont les chroniqueurs qui en firent le but principal après le fait accompli, tel M. Villey dans La croisade: Essai sur la formation d'une théorie juridique, pp. 83 et 95 et C. Erdmann dans Die Entstehung des Kreuzzugsgedankens (1935). Ce dernier pensait même que le pape n'avait pas fait allusion à Jérusalem dans son discours. Il est à remarquer que Foucher ne parle pas de Jérusalem comme étant l'objectif de la croisade (son absence au siège peut expliquer cela, car il se trouvait à Édesse). Il pourrait sembler qu'Urbain II vit le pèlerinage comme le moyen le plus efficace pour envoyer des armées vers l'est. Si le pape envoya les croisés à Jérusalem seulement dans le but d'aider les Byzantins, il était coupable d'avoir délibérément trompé tous ceux qui se croisèrent ou il fut mal compris. Par contre, il n'y a aucune raison pour supposer que le pape n'avait pas un puissant désir de récupérer Jérusalem. Toutefois, selon une source byzantine du XIIIe siècle, écrite par Theodore Skutariotes, le basileus aurait utilisé la croisade comme prétexte pour se trouver des alliés pour combattre les Turcs. Il aurait tout manigancé et, connaissant l'importance de Jérusalem pour les Francs, aurait manipulé les croisés pour entreprendre ce qu'il voulait, soit la reconquête de l'Asie Mineure. Par la croisade, la papauté offrait l'opportunité d'un nouveau genre de service religieux où les combats et le pillage avaient encore leur place. Dans ce service, les chevaliers du Christ pourraient obtenir des récompenses morales et spirituelles. Il serait important de souligner qu'il n'existe aucun document attestant l'existence de ces privilèges promis par Urbain II. Par contre, la bulle pontificale proclamant la deuxième croisade mentionnait qu'elle reprenait les privilèges donnés à la première.

Toutefois, un privilège important se retrouvait dans un des canons adoptés pendant le concile, celui où l'indulgence plénière était accordée pour ceux qui iraient libérer Jérusalem par dévotion. Ce type d'indulgence est une rémission des peines pour les péchés commis, non une rémission des péchés eux-mêmes.


Le pape Urbain II arrivant en France pour prêcher la croisade,
miniature dans le Roman de Godefroi de Bouillon, XIVe siècle, B. N., Paris


Cependant, Robert et Foucher affirment clairement que le pape accorda la rémission des péchés à ceux qui prirent la route. En plus, le pape ajouta à cette indulgence le voeu de compléter le pèlerinage. Une violation de ce voeu était punie par des sanctions sévères, telles que l'excommunication.

Aussi, les chroniqueurs nous mentionnent des récompenses célestes, la palme du martyre, pour ceux qui persévéraient dans l'armée du Seigneur. D'ailleurs, la mention de récompenses éternelles pour ceux qui périrent pendant la croisade suscite un débat parmi certains historiens. Selon Jonathan Riley-Smith, la conception du martyre serait apparue en cours de route, non dans le discours d'Urbain II. Cette notion aurait été popularisée par les chroniqueurs (5). De plus, des privilèges temporels furent offerts à ceux qui se croisaient. L'Église leur donnait la protection ecclésiastique, ainsi qu'à leurs familles et leurs propriétés.

Finalement, selon la version de Baudri de Dol, le pape choisit l'évêque Adhemar du Puy pour être son légat et chef de la croisade. Était-il vraiment vu comme le chef? Il semblerait que oui. Après sa mort à Antioche, les autres dirigeants écrivirent au pape et lui demandèrent de venir et de terminer sa guerre (qui ab Urbano suscepit curam Christiani exercitus).

Pour conclure, il semble bien que la prédication du pape inclût des rétributions spirituelles aux guerriers qui partaient pour la croisade. Ces derniers reçurent la rémission des péchés, l'indulgence de toute autre pénitence et la promesse d'une vie éternelle pour ceux qui mourront. Suite à Clermont, le pape voyagea pendant plusieurs mois en France où il prêcha la croisade à plusieurs endroits avant de retourner en Italie en août 1096. Sa croisade était devenue une réalité (6). Par contre, nous pouvons parler de deux "premières" croisades, peut-être même plus...


Références:

(1) Frederic Duncalf, " The Councils of Piacenza and Clermont " dans Kenneth M. Setton, dir., A History of the Crusades, Madison, The University of Wisconsin Press, 1969 (1955), vol.1, p. 239.
(2) Louise and Jonathan Riley-Smith, The Crusades. Idea and Reality, 1095-1274, London, Edward Arnold, 1981, p. 45.
(3) Jean Flori, "Guerre sainte et rétributions spirituelles dans la 2e moitié du XIe siècle", Revue d'Histoire ecclésiastique, vol. 85, no. 3-4 (juil.-déc. 1990), p. 617.
(4) J. Flori, "Guerre sainte et...", p. 618.
(5) Voir articles de Jonathan Riley-Smith, " The motives of the Earliest Crusaders and the Settlements of Latin Palestine, 1095-1100 ", EHR, CXVIII (1983), pp. 721-736 et " Crusading as an Act of Love ", History, LXV (1980), pp. 177-192. Jean Flori n'est pas d'accord avec cette interprétation, " Guerre sainte et ... ", pp. 617-649 et " Mort et martyre des guerriers vers 1100. L'exemple de la première croisade ", Cahiers de Civilisation Médiévale, XXXIV (1991), pp. 121-139.
(6) Le texte fut basé surtout sur F. Duncalf, " The Councils of ... ", pp. 220-252 et J. Flori, " Guerre sainte et ... ", pp.617-649 et " L'Église et la guerre sainte de la 'Paix de Dieu' à la 'croisade' ", Annales ESC, mars-avril 1992, no. 2, pp. 453-466.

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II. La croisade populaire




Pierre l'ermite priant au Saint Sépulcre, miniature dans Histoire d'Outremer de Guillaume de Tyr, XIIIe siècle, Bibliothèque Nationale, Paris.

L'appel d'Urbain II le 27 novembre 1095 s'adressait surtout aux hommes de guerre. L'indulgence plénière et les autres incitatifs semblaient être destinés à ceux qui combattraient pour libérer Jérusalem ou mourraient dans la tentative. Par contre, une foule de non combattants et de pèlerins furent galvanisés par ce projet. Le pape réalisa rapidement que ces gens seraient plus un handicap qu'un apport aux guerriers et s'efforça de les empêcher de partir. Ainsi, sa lettre adressée au peuple de Bologne déconseillait le voyage aux personnes âgées, à ceux inaptes au combat, aux femmes seules, aux clercs sans le consentement de leurs supérieurs ou aux laïcs sans la bénédiction cléricale.


Mais, il y avait Pierre l'Ermite. Ce prédicateur populaire exerca une grande influence sur les populations qu'il rencontrait lors de ses prédications. Il partit du centre de la France, du Berri, passa par Étampes (au sud de Paris), Poissy (à l'ouest de Paris) où plusieurs chevaliers se joignirent à lui, dont Gautier sans Avoir. Il arriva en Lorraine, à Trêves en avril 1096, avec une suite considérable. Quelques jours plus tard, il prêcha à Cologne.

Gautier s'impatienta et se sépara de Pierre pour se diriger immédiatement vers Constantinople avec les Français. Selon Albert d'Aix, une des sources principales sur la croisade " populaire ", Gautier était un chef compétent, son groupe était bien préparé et ses hommes se comportèrent bien pendant le trajet. Le roi hongrois Coloman accorda le libre passage de son royaume aux croisés et leur donna la permission d'acheter des vivres en cours de route. Après une traversée sans problème, Gautier arriva en Bulgarie, en territoire byzantin. Le gouverneur de la région, Nicétas, n'ayant reçu aucune directive de la capitale quant au traitement de ces pèlerins ou n'ayant pas averti le gouverneur de Belgrade, fit en sorte que Gautier se vit refuser l'accès aux marchés locaux. (Réaction d'Alexis Comnène face aux croisés). De plus, la situation se compliqua lorsque seize traînards furent volés en Hongrie et que soixante pèlerins, pris en train de fourrager dans la campagne de Belgrade, furent brûlés dans une église. Gautier se dépêcha de se rendre à Nish, siège du gouverneur byzantin, où il arriva le 18 juin. Finalement, Nicétas lui accorda le privilège d'acheter sur les marchés locaux. Les croisés arrivèrent à Constantinople, accompagnés d'une escorte byzantine, vers la mi-juillet. Ceux-ci établirent leur camp à l'extérieur de la capitale, se conduisant bien et attendirent l'arrivée de Pierre l'Ermite.


Carte d'Europe orientale,basée sur celle dans Kenneth Setton, A History of the Crusades, vol. 1, p. 30.


Pierre n'était pas un chef aussi capable que Gautier. Aussi, l'Ermite ne semble pas avoir été responsable des persécutions contre les Juifs. Il possédait même une lettre des Juifs français qui conseillait à leurs coreligionnaires d'aider Pierre financièrement. Aussi, sa bande comprenait probablement des Allemands de la région du Rhin, Gautier ayant quitté avec les Français. Ordéric Vital ajoute même que deux comtes allemands et un évêque le suivaient. Albert d'Aix mentionne que des Français, des Lorrains, des Bavarois et des gens de la Souabe suivaient Pierre.


Pierre l'Ermite menant la croisade populaire (Abreviamen de las Estorias, XIVe siècle, BL, MS Egerton 1500 f. 45v).

L'appel d'Urbain II du 27 novembre 1095 s'adressait surtout aux hommes de guerre. L'indulgence plénière et les autres incitatifs semblaient être destinés à ceux qui combattraient pour libérer Jérusalem ou mourraient dans la tentative. Par contre, une foule de non combattants et de pèlerins furent galvanisés par ce projet. Le pape réalisa rapidement que ces gens seraient plus un handicap qu'un apport aux guerriers et s'efforça de les empêcher de partir. Ainsi, sa lettre adressée au peuple de Bologne déconseillait le voyage aux personnes âgées, à ceux inaptes au combat, aux femmes seules, aux clercs sans le consentement de leurs supérieurs ou aux laïcs sans la bénédiction cléricale.


Donc, l'Ermite quitta la Rhénanie pour se diriger vers Constantinople. Il reçut la permission du roi Coloman de traverser son territoire, ainsi que l'accès aux marchés locaux. Sa bande fut ordonnée et disciplinée jusqu'à la ville de Semlin, près de la frontière hongro-byzantine. Albert d'Aix affirme que les croisés prirent la ville lorsqu'ils virent les armes et les vêtements des seize traînards de la bande de Gautier suspendus aux remparts. Pierre avait perdu le contrôle de certains éléments de sa bande et, craignant des représailles, se dépêcha de quitter la Hongrie.

Il traversa la Save, prit part à une escarmouche avec des troupes byzantines et arriva à Belgrade, desertée par ses habitants. Le 2 juillet, il atteignit Nish où Nicétas lui accorda l'accès aux marchés à condition de bien se conduire et de lui laisser deux otages importants en garantie. Ceux-ci furent libérés le matin suivant. Par la suite, la situation se détériora lorsque plusieurs croisés allemands incendièrent quelques moulins hors de la ville. Des troupes impériales effectuèrent des représailles, capturant un certain nombre de femmes et d'enfants. Pierre ordonna à ses hommes de se tenir tranquille afin qu'il puisse négocier avec Nicétas. Il ne fut pas obéi et des jeunes hommes tentèrent de prendre la ville. Ceux-ci furent repoussés avec des lourdes pertes. Alors, le gouverneur byzantin accepta de cesser les combats pour discuter, mais une partie des croisés commença à quitter les lieux. Ces départs furent interprétés comme une tentative de fuite afin d'éviter les négociations et les impériaux attaquèrent de nouveau. Les croisés furent dispersés.

Finalement, Pierre réunifia sa bande, ayant perdu environ le quart de ses hommes et s'arrêta pour trois jours. Après cette halte, il arriva à Sofia le 12 juillet. Il reçut l'accès aux marchés byzantins et fut pardonné par le basileus pour les incidents de Nish. Le 1er août, Pierre atteignit Constantinople. Par ailleurs, suite au départ de Pierre de la région du Rhin, d'autres bandes de croisés se formèrent. Celles-ci furent responsables des nombreux pogroms contre les communautés juives rhénanes. D'abord, un certain Folkmar passa par la Saxonie et la Bohême, massacrant des Juifs à Ratisbonne et à Prague. Sa bande se dispersa en Hongrie. Une autre bande, celle du prêtre allemand Gottschalk, se rendit en Hongrie. Coloman leur accorda l'accès aux marchés, mais pendant les négociations, des membres de son groupe commirent différents méfaits et la plupart finirent par être massacrés ou capturés par les Hongrois. Par contre, les pogroms les plus horribles furent commis par les différentes bandes rassemblées sous la coupe du comte Emich de Leiningen, un grand seigneur entre Mayence et Worms. Il fut rejoint par plusieurs seigneurs français: Guillaume Charpentier, vicomte de Melun et Gâtinais, Clarembaud de Vendeuil, Thomas de Marle et Drogon de Nesle. De plus, des contingents de guerriers anglais, lorrains, autrichiens et français arrivèrent.




Pèlerins en route pour la Terre sainte, miniature dans Histoire d'Outremer de Guillaume de Tyr, XIIIe siècle, Bibliothèque Nationale, Paris.

Ainsi, au début de mai 1096, plusieurs Juifs furent tués à Metz. À Spire, un massacre fut évité par l'évêque Jean qui donna asile aux Juifs dans son palais. À Worms, l'évêque ne fut pas aussi efficace, car le 18 mai les croisés et la populace forcèrent leur entrée dans le palais épiscopal et tuèrent tous les Juifs. À Mayence, les Juifs payèrent l'archevêque Ruthard pour les protéger, mais le 27 mai, les croisés furent admis dans la ville et les massacrèrent. Emich passa par Cologne le 29 mai où plusieurs Juifs furent tués, selon Albert d'Aix. Les sources hébraïques affirment que la plupart se sauvèrent en se cachant chez des amis chrétiens ou en fuyant la ville dans les villages voisins. Ils furent cependant massacrés le mois suivant. D'ailleurs, d'autres pogroms furent perpétrés à Rouen, Xanten, Trêves et Wessili.

Pendant longtemps, l'accent fut mis sur le caractère populaire des croisés suivant Pierre, leur pauvreté et leur ignorance. Leur périple fut souvent qualifié de croisade des " gueux " et des " pouilleux ". On attribuait les pogroms à un manque de contrôle et de discipline au sein de ces groupes. Ces interprétations ne sont plus tenables aujourd'hui. Il est certain qu'il y avait une forte proportion de non combattants dans ces groupes, mais il y avait aussi des cavaliers et des fantassins. Parmi ces troupes, on pouvait y trouver de nombreux chevaliers illustres et nobles. Pierre était accompagné de Renaud de Broyes, Gautier de Breteuil et Geoffroy de Burel. Ordéric Vital mentionnait la présence de deux comtes et un évêque. La chronique de Zimmern précisait que le comte palatin Hugues de Tübingen et le duc Gautier de Tesk accompagnaient l'Ermite avec des contingents de guerriers souabes. Le comte Emich de Leiningen était un noble de haut rang. Il fut secondé par des capitaines éprouvés: Clarembaud de Vendeuil, Thomas de Marle, Drogon de Nesle et Guillaume le Charpentier. Les historiens Jean Flori et Jonathan Riley-Smith soulignent avec raison que ces pogroms n'étaient pas spontanés ou incontrôlés, mais bien dirigés par des chefs expérimentés, et non perpétrés par des bandes de paysans.

Nous pouvons nous questionner sur l'origine de ces pogroms. La cupidité des croisés ne semble pas être le premier motif. Ceux-ci cherchaient bien plus que la simple spoliation des biens et le pillage. L'extermination systématique des Juifs pourrait être le but recherché. Les sources hébraïques affirment que les croisés voulaient se venger sur ceux qui avaient tué le Christ. Par contre, le véritable motif semble être la conversion des Juifs, par la force si nécessaire. Les massacres semblent des constats d'échec lorsque la conversion ne réussissait pas. Les croisés laissaient un choix : croire ou mourir!

D'où venait cette idée de conversion? Dans le discours de Clermont? Nous avons souligné dans la section traitant du discours d'Urbain les incertitudes qui se trouvaient dans les principales versions. Jean Flori croit que Pierre l'Ermite et ses émules auraient diffusé un message différent et indépendant de celui du pape. Ceux-ci, par des prédications populaires, rejoignaient plus les mentalités des gens ordinaires. Ils durent faire appel aux notions de vengeance du Christ et, peut-être aussi, à une certaine forme d'antisémitisme déjà présent dans la population. De plus, nous pouvons remarquer que Pierre semble avoir été porté davantage sur l'exploitation financière des Juifs, non sur leur conversion ou leur extermination.

Ainsi, Emich conduisit sa bande en Hongrie où il fut rejoint par le comte Hartmann de Dillingen-Kyburg avec un contingent de nobles souabes. Coloman leur refusa l'accès de son royaume et les croisés attaquèrent la ville de Wieselburg. Ils furent écrasés par les Hongrois et les chefs, ayant de bons chevaux, réussirent à s'enfuir. Thomas, Clarembaud et Guillaume le Charpentier se dirigèrent vers le sud et se joignirent à Hugues de Vermandois.


Les Turcs massacrant les pèlerins à Civitot en 1096 (XVe siècle)

À Constantinople, Pierre rejoint finalement Gautier, ainsi que des pèlerins venus d'Italie. Le basileus Alexis le reçut cordialement et lui suggéra fortement d'attendre les armées des barons. Par contre, ses partisans s'aliénèrent la population par toutes sortes d'actes de violence. Face au grand nombre de croisés et à leur indiscipline, le basileus décida de leur faire traverser le Bosphore immédiatement, soit le 6 août 1096. Les croisés se dirigèrent vers Nicomédie, désertée, commettant des atrocités sur la population grecque en cours de route.


Une fois cette ville atteinte, une dispute éclata entre les Français d'un côté, les Allemands et les Italiens de l'autre. Ces derniers s'élirent un chef, un noble italien du nom de Renaud. Par la suite, les croisés se rendirent au camp fortifié byzantin de Civitot. De cet endroit, las d'attendre les barons, ils commencèrent par razzier les villages voisins, habités par des Grecs orthodoxes, puis en territoire turc. Pierre tenta de les contrôler, mais il n'exerçait plus aucune autorité sur eux. À la mi-septembre, un groupe de Français parvint jusqu'aux portes de Nicée, pillant et massacrant les villageois des environs (des chrétiens orthodoxes). Ils revinrent à Civitot chargés de butin. Les Allemands, jaloux de ce succès, quittèrent sous le commandement de Renaud et se rendirent jusqu'au château de Xerigordon dont ils s'emparèrent. Le sultan Kilij Arslan envoya un puissant contingent qui investit la place forte le 29 septembre. Après un siège éprouvant de huit jours, Renaud et ses hommes se rendirent aux Turcs. Ceux qui refusèrent d'apostasier furent massacrés, les autres menés en captivité.

À la nouvelle de ce massacre, Pierre retourna à Constantinople pour demander de l'aide au basileus. Pendant son absence, les croisés décidèrent d'attaquer les Turcs. Ils quittèrent le camp le 21 octobre et tombèrent dans une embuscade par les troupes musulmanes. Ce fut un carnage. Les quelques survivants furent sauvés par une escadre de navires byzantins envoyée à leurs secours. La croisade " populaire " avait échoué.



   La croisade "populaire" vue par Anne Comnène

   La croisade "populaire" vue par l'Anonyme

   La croisade "populaire" vue par Raymond d'Aguilers



Références:

Le texte fut basé sur Frederic Duncalf, " The First Crusade: Clermont to Constantinople " et Steven Runciman " The First Crusade: Constantinople to Antioch " dans Kenneth M. Setton, dir., A History of the Crusades, Madison, The University of Wisconsin Press, 1969 (1955), vol.1, pp. 253-266 et pp. 281-284; ainsi que l'article de Jean Flori, " Une ou plusieurs ' première croisade '? Le message d'Urbain II et les plus anciens pogroms d'Occident ", Revue Historique, no. 577 (1991), pp. 3-27.

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III. La croisade des barons



Au moment même où les bandes de Pierre l'Ermite campaient devant Constantinople, les premières troupes de soldats croisés se lançaient sur les routes menant vers la capitale byzantine. Le premier à partir fut Hugues, comte de Vermandois et frère cadet du roi Philippe Ier de France. Il quitta vers le milieu du mois d'août 1096 avec une suite respectable et envoya une lettre au basileus, dont Anne Comnène nous rapporte le contenu. Il se dirigea en Italie où il fut rejoint par Clarembaud, Guillaume le Charpentier et Drogon de Nesle, tous des rescapés de l'armée d'Emich de Leiningen défaite par les Hongrois. Une fois arrivé à Rome, il y reçut l'étendard de saint Pierre et envoya un autre message à la cour byzantine [Voir les deux lettres d'Hugues au basileus, selon Anne Comnène]. Appareillant à Bari, il traversa l'Adriatique, mais il fut pris dans une tempête et atteignit avec peine la côte byzantine dans les environs de Durazzo. Le gouverneur byzantin de la ville, Jean Comnène (neveu du basileus ), l'accueillit courtoisement et l'envoya à Constantinople escorté d'un haut dignitaire byzantin.


Godefroi quittant pour la croisade, miniature dans Histoire d'Outremer, XIIIe siècle, Bibliothèque Municipale Boulogne-sur-Mer.

Pour sa part, Godefroi de Bouillon quitta aussi au mois d'août 1096. Il était seigneur de Bouillon et duc de Basse-Lorraine. Son expédition fut financée partiellement par la vente ou en hypothéquant certaines de ses possessions. Ainsi, son château de Bouillon lui rapporta environ 1300-1500 marcs d'argent de l'évêque de Liège. Godefroi décida de se croiser lorsque la vague d'enthousiasme pour la croisade déferla en Wallonie et, étant le duc, il fut désigné pour être le chef de l'armée. Il fut accompagné de son jeune frère Baudouin de Boulogne avec son épouse, ainsi que Baudouin du Bourg, son cousin. Par contre, son frère aîné Eustache, comte de Boulogne, partit lui aussi pour la croisade, mais il demeure hypothétique s'il se joignit à son frère ou à Robert de Normandie.


La taille exacte de l'armée du duc est inconnue. Anne Comnène nous parle de 10 000 chevaliers et 70 000 fantassins, chiffres bien entendus exagérés; Raymond d'Aguilers affirmait, en 1099, qu'elle était de la même taille que celle de Robert de Normandie.

Godefroi atteignit la frontière hongroise en septembre et dut camper devant celle-ci pendant trois semaines, le temps de recevoir du roi Coloman la permission de traverser la Hongrie. Ce dernier, ayant connu des difficultés avec les croisés " populaires ", se montra réticent d'accorder le libre passage à cette armée. Finalement, le roi accepta et exigea en contrepartie la livraison d'otages, soit Baudouin de Boulogne et sa famille, comme gage de bonne conduite. Godefroi fit proclamer dans toute l'armée que toute personne prise entrain de fourrager serait mise à mort. Ainsi, son armée traversa la Hongrie sans aucun incident et atteignit Semin en novembre. Une fois la Save traversée, les otages furent libérés. Rendus en territoire byzantin, les croisés reçurent le droit d'acheter sur les marchés locaux et traversèrent Nish, Sofia et Philippopolis pacifiquement. Par contre, avant de quitter cette dernière ville, Godefroi fut alarmé par une rumeur affirmant que le comte Hugues et ses compagnons étaient prisonniers d'Alexis. Il envoya immédiatement un message demandant la libération des captifs. De plus, il accorda huit jours de pillage de la région de Selymbria, sur le bord de la mer de Marmara, à ses troupes. Rapidement, le basileus lui envoya deux émissaires francs pour lui dire que le comte et ses compagnons étaient libres. Par la suite, le duc se dirigea vers la capitale qu'il atteignit le 23 décembre 1096. La tension baissa lorsque Hugues alla au camp des croisés, mais Godefroi refusa de rencontrer Alexis.


Carte d'Europe Orientale, basée sur celle dans Kenneth Setton, A History of the Crusades, vol. 1, p. 30. La ligne jaune représente le trajet de l'armée de Godefroi; la rouge celui de Raymond de Saint-Gilles, l'orange celui des deux Robert et la noire celui de Bohémond de Tarente. La ligne bleue représente la route commune suivie par Raymond, les deux Robert et Bohémond.

D'autre part, une armée normande s'était assemblée en Italie méridionale sous la férule de Bohémond de Tarente. Le chroniqueur Anonyme nous rapporte que Bohémond décida de se croiser lorsque les premières troupes françaises descendirent en Italie pour se diriger vers Constantinople, soit sept ou huit mois après Clermont. Il abandonna le siège d'Amalfi qu'il était entrain d'entreprendre avec son frère et son oncle, le comte Roger de Sicile, et leva une armée. Il était accompagné de son jeune neveu de vingt ans et commandant en second, Tancrède, et deux de ses cousins, Richard du Principat (neveu de Robert Guiscard et comte du Principat) et son frère Renoul avec son fils Richard. Selon Anne Comnène, son armée était petite faute d'argent.

Bohémond traversa l'Adriatique vers la fin octobre 1096 et débarqua entre Avlona et Durazzo. Pénétrant en territoire byzantin, l'armée normande atteignit Castoria et y célébra Noël. Toutefois, à cause de son occupation antérieure de la région lors de l'expédition de son père entre 1081-1085, les populations grecques refusèrent de lui vendre des vivres. Bien qu'il eût ordonné à ses hommes de ne pas fourrager, Bohémond dut leur permettre de se procurer des vivres par le pillage. De plus, les Normands se sentirent justifiés de détruire une ville entre le fleuve Vardar (Axios) parce qu'elle était habitée par des hérétiques, des Pauliciens. Lors de la traversée du Vardar, des troupes impériales attaquèrent l'arrière de l'armée; Tancrède retraversa et les mit en déroute. Bohémond passa devant Thessalonique et arriva à Roussa, où il accepta l'invitation d'Alexis de quitter son armée et de se dépêcher vers la capitale. Il arriva à Constantinople le 10 avril 1097. Ainsi, Tancrède prit le commandement des troupes et laissa l'armée vivre sur le pays, à la grande joie des soldats.

Pour sa part, Raymond, comte de Toulouse, et le légat pontifical Adhémar de Monteil assemblèrent la plus grande armée des croisés. L'armée de Raymond, qui avait une suite considérable de non combattants, de pèlerins et des membres du clergé, était composée de gens de la Bourgogne, de l'Auvergne, de Gascogne et surtout de Provence. Le comte, âgé de 53 ans à l'époque, emmena sa femme et son jeune fils et laissa Bertram, son fils de sa première épouse, en charge de ses possessions dans le Languedoc. Son expédition nous est bien connue grâce à son chapelain, Raymond d'Aguilers, qui nous a laissé une chronique de l'expédition. D'abord, le comte traversa péniblement la Dalmatie vers la fin décembre 1096 et le mois de janvier 1097. Les routes étaient difficiles et les indigènes refusaient de lui vendre des vivres et de fournir des guides. Même que ceux-ci attaquèrent l'arrière de l'armée, volant et tuant les traînards, les pauvres et les gens âgés. Puis, une fois en territoire byzantin, quelques accrochages eurent lieu avec des troupes impériales. Adhémar de Monteil fut même volé et blessé par des mercenaires byzantins, mais Raymond tenait à coopérer avec le basileus. L'armée arriva à Thessalonique au début d'avril 1097. À Roussa, les Provençaux pillèrent la ville et une autre escarmouche eut lieu à Rodosto. Malgré cela, le comte accepta l'invitation d'Alexis et se rendit à la capitale le 21 avril, six jours avant son armée. D'ailleurs, la chronique de Raymond d'Aguilers nous démontre que l'escorte byzantine eut de nombreux problèmes avec l'armée provençale. Il est fort possible que les fonctionnaires byzantins ne purent ravitailler suffisamment une troupe aussi nombreuse, poussant un grand nombre de pèlerins à fourrager au détriment des populations grecques.


   L'arrivée de Raymond de Saint-Gilles selon Raymond d'Aguilers


Finalement, une autre armée normande se constitua dans le nord-ouest de la France. Robert de Flandres arriva à Constantinople avant Raymond, mais nous n'avons pas de détails précis sur sa marche dans les Balkans. Il traversa l'Adriatique pendant l'hiver, laissant ses compagnons Robert de Normandie et Étienne de Blois hiverner en Italie du Sud. Robert II de Flandre était à la tête d'un état féodal prospère. Donc, il lui fut relativement aisé de lever les fonds nécessaires à son expédition et d'assembler une armée. Pour le nombre, Raymond d'Aguilers disait, en 1099, que ses forces représentaient un sixième de celles de Godefroi et de celles de Robert de Normandie. Pour sa part, Robert de Normandie perdait rapidement contrôle de son duché au détriment de son frère Guillaume II, roi d'Angleterre. Son frère lui consentit un prêt de 10 000 marcs d'argent avec la Normandie comme garantie et Robert put ainsi rassembler les fonds indispensables à son expédition. Une armée fut levée, composée de nombreux seigneurs normands, ainsi que des contingents de Bretagne, du Perche et du Maine. Il fut accompagné d'Étienne, comte de Blois et de Chartres, qui avait dans sa suite le chroniqueur Foucher de Chartres. Les trois quittèrent en octobre 1096, s'arrêtèrent à Lucques pour y être bénis par le pape, passèrent par Rome, puis se rendirent au port de Bari. Seulement Robert de Flandres traversa la mer immédiatement, les deux autres attendirent au printemps suivant, soit le 5 avril 1097, pour appareiller à Brindisi et débarquer dans les environs de Durazzo. Ils atteignirent sans incident la capitale byzantine le 14 mai 1097.


   Lettre d'Étienne de Blois à sa femme, Adèle de Normandie

   Un croisé quittant sa femme, selon Foucher de Chartres


Nous pouvons voir que les différents chefs réussirent à contrôler assez bien leurs foules indisciplinées pendant la traversée du territoire byzantin. Alexis Comnène savait que les Francs étaient des gens difficiles à diriger, les négociations allaient être ardues...


Références:

Le texte est basé sur Frederic Duncalf, " The First Crusade: Clermont to Constantinople " dans Kenneth M. Setton, dir., A History of the Crusades, Madison, The University of Wisconsin Press, 1969 (1955), vol.1, pp. 266-279.

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IV. De Constantinople à Nicée



Les négociations


Avec l'arrivée imminente des premiers contingents occidentaux à Constantinople, Alexis Comnène s'était décidé sur la politique à adopter face aux différents seigneurs francs. Il leur exigera une promesse de restituer les terres qui avaient appartenu à l'empire à la veille des invasions turques et un serment d'allégeance pour tout autre territoire conquis en Orient.


   Contenu du serment, selon Anne Comnène


Le premier qui arriva à Constantinople fut Hugues de Vermandois, accompagné d'une suite peu nombreuse. Alexis le chargea de somptueux cadeaux, cependant, il le limita dans sa liberté de mouvement. Hugues n'éprouva aucun ressentiment à l'égard du basileus et fut même prêt à aider celui-ci dans sa politique en servant d'intermédiaire auprès des autres barons francs.


Alexis Ier Comnène (1081-1118)

Par la suite, Godefroi de Bouillon fut le deuxième à atteindre la capitale byzantine. Cependant, lorsqu'il avait appris la "captivité" de Hugues, il avait ravagé la campagne environnante de Selymbria (actuelle Silivri, à l'ouest d'Istanbul), avant d'être calmé par deux émissaires francs au service du basileus. Il se rendit alors à Constantinople et y établit son camp. Hugues le rencontra et lui demanda de se rendre au palais pour y prêter le serment d'allégeance, mais Godefroi hésita. Pourquoi? Peut-être parce qu'il avait déjà prêté un serment à l'empereur Henri IV. Peu importe, il décida d'attendre les autres seigneurs pour voir leur intention.

Toutefois, Alexis prit la décision de couper le ravitaillement aux troupes lorraines, question d'inciter Godefroi à prêter le serment plus rapidement. Le frère de ce dernier, Baudouin de Boulogne, effectua alors une razzia dans les banlieues de la capitale pour forcer la levée du blocus imposé par le basileus. Celui-ci fut levé et le duc accepta de déplacer son camp à Pera, de l'autre côté de la Corne d'or. Cet emplacement était mieux protégé des vents d'hiver, mais aussi la surveillance par les troupes byzantines y était plus aisée. Les semaines s'écoulèrent, sans toutefois altérer la décision de Godefroi face au serment. Alors, Alexis coupa de nouveau le ravitaillement à la fin du mois de mars 1097. Baudouin effectua une autre razzia et connut un certain succès, ce qui incita le duc à s'attaquer directement aux remparts de la ville. Nous étions le 2 avril, en pleine semaine sainte, et les Byzantins en furent extrêmement indignés. Le lendemain, le duc refusait toujours de rencontrer Alexis. Celui-ci, exaspéré, envoya des troupes aguerries qui mirent en déroute les Lorrains. Godefroi accepta finalement de prêter le serment. Le dimanche de Pâques, Godefroi, Baudouin et leurs principaux vassaux promirent solennellement de restituer à l'empire les terres récemment perdues et de reconnaître le basileus comme suzerain pour leurs conquêtes futures. Ils furent récompensés par des sommes d'argent et l'armée fut transportée de l'autre côté du Bosphore. Celle-ci s'installa au camp de Pélécan (Pelecanum), sur la route de Nicomédie (actuelle Izmit).

La semaine suivante, soit le 9 avril, Bohémond de Tarente arriva à Constantinople. Le basileus rencontra son ancien ennemi et dut être surpris de la rapidité avec laquelle le chef normand accepta de prêter le serment d'allégeance.


   Bohémond prêtant le serment, selon Anne Comnène


Puis, ce dernier demanda la charge de Grand domestique d'Orient, c'est-à-dire commandant en chef de toutes les forces impériales en Asie, ce qui lui donnerait le contrôle sur toute l'expédition et sur les territoires conquis. Face à cette requête embarrassante, Alexis temporisa (Elle lui sera refusée plus tard). Le basileus ne faisait pas confiance, avec raison, à Bohémond.


   Anne Comnène sur les motifs des croisés


L'armée normande fut appelée à Constantinople et transportée de l'autre côté du Bosphore pour rejoindre celle de Godefroi. Tancrède et son cousin, Richard de Salerne, refusèrent de prêter le serment et traversèrent le bras de mer pendant la nuit.

Pour sa part, le comte Raymond de Saint-Gilles atteignit la capitale le 21 avril 1097. Le lendemain, il rencontra le basileus et refusa de prêter le serment. Les raisons étaient multiples. Selon l'historien Sir Steven Runciman, Raymond nourrissait l'espoir de devenir le commandant laïc suprême des croisés et vit dans Bohémond son principal rival. De plus, si Bohémond devenait Grand domestique d'Orient, Raymond, en acceptant de prêter le serment d'allégeance au basileus, se retrouverait sous les ordres de celui-ci. Aussi, il affirma qu'il était venu en Orient pour accomplir l'oeuvre de Dieu. Lui seul pouvait être son suzerain. Par contre, il ajouta que si le basileus lui-même conduisait ses forces, il le servirait. Éventuellement, Raymond prêta un serment modifié: il accepta de respecter la vie et l'honneur du basileus et de voir à ce que rien ne soit entrepris contre lui par ses hommes ou par lui-même.


   Les chefs croisés prêtant serment au basileus, selon les Gesta Francorum


Le 27 avril, l'armée provençale arriva devant la ville et traversa le Bosphore. Le comte revint à Constantinople et demeura quelque temps à la cour impériale. Pendant son séjour, une relation d'amitié et de confiance se développa entre Raymond et Alexis.

Finalement, la quatrième grande armée atteignit la capitale au début du mois de mai. Robert, duc de Normandie et Étienne, comte de Blois, comme l'avait fait auparavant Robert de Flandres, acceptèrent rapidement de prêter le serment au basileus et séjournèrent pendant deux semaines dans la capitale. Une fois que cette dernière armée de croisés eut été envoyée de l'autre côté du Bosphore, le basileus put respirer de nouveau. Les croisés étaient maintenant en Asie, prêts à en découdre avec les Turcs et à reconquérir les terres perdues de l'empire. Par contre, il restait à savoir si le serment prêté par les différents seigneurs francs serait respecté. Pour sa part, le basileus promit de ravitailler les croisés et de fournir un corps de soldats byzantins pour aider les Occidentaux dans leur expédition. Le Byzantin Tatikios fut désigné pour commander ces troupes et pour représenter Alexis.

Siège de Nicée



Le trajet des croisés vers Nicée (K. Setton, A History of the Crusades, vol. 1, p. 30.)


Le premier objectif des croisés fut la ville de Nicée (actuelle Iznik), capitale du sultanat seldjoukide de Roum. La ville se trouvait sur la principale route militaire d'Anatolie et sa prise était nécessaire afin d'assurer le succès de toute avance en territoire turc. La ville était très bien fortifiée avec ses 240 tours et les remparts formaient un pentagone avec le côté ouest touchant aux berges du lac Ascanius.

La population de Nicée était composée surtout de chrétiens, mais une importante garnison turque s'y trouvait, ainsi que des fonctionnaires de la cour du sultan Kilidj Arslan.Ce dernier, ayant écrasé facilement les troupes de Pierre l'Ermite, ne réalisa pas l'ampleur du danger auquel il faisait face.

Il avait quitté sa capitale avec son armée pour disputer la suzeraineté de Mélitène (actuelle Malatya) aux Danichmendites. Lorsqu'il apprit l'arrivée des croisés en Asie Mineure, il était déjà trop tard pour ramener toutes ses forces afin de défendre sa capitale où se trouvait sa famille et la plus grande partie de son trésor. Le moment du siège était bien choisi.

Pendant ce temps, les différentes armées de croisés se rassemblaient en Asie Mineure. Godefroi de Bouillon se dirigea vers Nicomédie où Tancrède vint le rejoindre avec l'armée de Bohémond. Ce dernier se trouvait à Constantinople pour négocier le ravitaillement des troupes. Pendant ce bref séjour, entre le 1 et le 3 mai 1097, Pierre l'Ermite et les survivants de son expédition se joignirent aux croisés, ainsi qu'un petit détachement d'ingénieurs byzantins sous le commandement de Manuel Boutoumitès. Des éclaireurs et des ingénieurs furent détachés du corps principal afin de frayer une route vers Nicée, puis le 4 mai, Godefroi, Tancrède, Robert de Flandres et Hugues de Vermandois quittèrent Nicomédie. Ils passèrent par Civitot et atteignirent Nicée le 6 mai. Godefroi campa au nord, Tancrède à l'est et le sud fut réservé à l'armée provençale (à l'ouest se trouvait le lac). Bohémond revint de la capitale peu de temps avant les premiers combats.





Croisés catapultant les têtes des Turcs morts lors du siège de Nicée, miniature dans Les Estoires d'Outremer de Guillaume de Tyr, XIIIe siècle, Ms français 2630, folio 22 v., Bibliothèque Nationale, Paris.

Le siège commença le 14 mai 1097 par une première attaque des croisés. Deux jours plus tard, l'armée de Raymond arriva, complétant le blocus terrestre de la ville juste à temps pour repousser les premières troupes de Kilidj Arslan venues renforcer la garnison. Le 21 mai, le sultan lui-même parvenait devant Nicée et les négociations entreprises par les citadins avec les Byzantins furent rompues. Il attaqua les soldats de Raymond, qui furent en difficulté un moment, car Godefroi et Bohémond n'osaient pas quitter leur section du mur sans défense. Finalement, le contingent flamand vint à leur aide. La bataille dura toute la journée, mais les troupes turques se replièrent finalement devant la lourdeur de leurs pertes. Les croisés eux-mêmes eurent de nombreux tués, incluant de nombreux chevaliers de marque, tel le comte de Gand. Face à de telles forces, le sultan abandonna la ville à son sort.

À la suite de ce combat, les croisés s'amusèrent à catapulter les têtes des morts à l'intérieur de la ville pour semer l'effroi parmi les Turcs. Le siège continua et la garnison se défendit courageusement. Raymond tenta de miner une tour, mais ce fut sans succès. Le 3 juin, Robert de Normandie et Étienne de Blois arrivèrent devant Nicée avec leurs contingents. Les différentes armées étaient finalement rassemblées en une seule, par contre la cohésion de l'ensemble était loin d'être parfaite. Les divers chroniqueurs tentèrent d'évaluer le nombre des croisés, mais les chiffres donnés peuvent nous paraître complètement exagérés et fantaisistes (1).

Il ne faut pas oublier que les nombres évoqués représentent la réalité vue par eux, il ne faut pas prendre aveuglement ces données, non plus les rejeter, mais plutôt les considérer comme un ordre de grandeur. L'Anonyme écrit ceci: "Qui pouvait dénombrer cette formidable armée du Christ? Nul, je ne pense, n'a jamais vu et ne pourra jamais voir un pareil nombre de chevaliers aussi accomplis."(2) Pour sa part, Foucher de Chartres estime à 100 000 Loricati (de cuirasses, des chevaliers?) et à 600 000 le nombre de combattants potentiels. Albert d'Aix donne 400 000, tandis que Daimbert de Pise et la Chronique de Zimmern évaluent les combattants à 300 000 hommes (3). Les évaluations modernes, comme celle donnée par l'historien Joshua Prawer, donnent environ 4 500 chevaliers et 30 000 fantassins, plus la foule de non-combattants, supposant un grand total entre 60 et 100 000 âmes (4).


Prise de Nicée par les croisés, dans Histoire de la guerre sainte de Guillaume de Tyr, XIIIe siècle, Ms fr. 5220, fol. 45v., Bibliothèque de l'Arsenal.

Après ce premier affrontement avec les Turcs, les croisés s'aperçurent rapidement que la ville était ravitaillée du côté du lac Ascanius. Alors, les chefs demandèrent au basileus de leur fournir des navires pour effectuer un blocus naval, ce qu'il fît. Une petite flottille fut transportée sur le lac et Manuel Boutoumitès en reçut le commandement. Les navires furent mis à flot pendant la nuit du 17-18 juin. Comme le sultan Kilidj Arslan avait dit à la garnison de faire ce qu'elle croyait le mieux, lorsque celle-ci vit les vaisseaux byzantins chargés de troupes, elle rétablit rapidement les négociations avec le commandant grec. Un assaut général fut planifié pour le 19 juin, toutefois la ville ouvrit sa porte donnant sur le lac à Boutoumitès et à ses troupes durant la nuit du 18-19 juin.

Ainsi, dès l'aube, les croisés virent les étendards byzantins flotter au-dessus de la cité. Les chefs étaient probablement au courant des négociations, mais ils n'avaient sûrement pas été informés sur la conclusion de celles-ci. Ainsi, ils furent blessés de ne pas avoir été consultés, tandis que les hommes des rangs, qui espéraient piller la ville, se sentirent lésés de leur proie. Les croisés ne furent acceptés dans la ville que par petits groupes, au moment même où les nobles et la famille du sultan étaient emmenés à Constantinople. Les nobles payèrent leur propre libération et la famille d'Arslan fut relâchée sans rançon quelques mois plus tard.

D'ailleurs, cette générosité à l'égard des " Infidèles " stupéfia plus d'un croisé. Par contre, Alexis se montra aussi généreux envers les croisés. Il fit distribuer à chaque soldat des vivres, tandis que les chefs furent convoqués à Pélécan, où ils reçurent de l'or et des bijoux. En retour de ces largesses, le basileus insista que les principaux chevaliers qui n'avaient pas encore prêté serment le fassent maintenant. Tancrède, après avoir exprimé certaines réticences, accepta.

Les pertes subies par les croisés pendant le siège sont difficiles à évaluer. Étienne de Blois écrit "très peu de morts" et qu'aucun chevalier de marque, sauf le comte Baudouin de Gand, ne fut tué. Même chose chez Anselme de Ribemont qui signale les décès de Baudouin de Mons et de Baudouin Cauderons. Albert d'Aix y ajoute les noms du comte de Forez, de Gui de Porsenne, de deux autres illustres chevaliers et d'une vingtaine de chevaliers de rang plus modeste. Foucher de Chartes affirme que "de nombreux croisés furent tués" tandis que l'Anonyme et ses plagiaires y ajoutent des pauvres pèlerins, mort de faim pendant le siège. Nous pouvons voir que les chroniqueurs ne mentionnent que les morts au combat parmi leur entourage ou celui de leurs proches ou alliés, sans se soucier des chevaliers ordinaires et, moins encore, des fantassins. Ils ignorent totalement le sort des pauvres (5).


   Siège et prise de Nicée selon les Gesta Francorum

   Siège et prise de Nicée selon Anne Comnène

   Lettre d'Étienne de Blois à sa femme, Adèle de Normandie, sur Nicée


Les croisés, quoique désappointés face au comportement du basileus, furent ravis par la libération de Nicée et s'imaginèrent pouvoir arriver à Jérusalem en quelques semaines. Étienne de Blois écrivait à sa femme que l'armée atteindrait la Ville Sainte en cinq semaines, si Antioche ne posait pas de problème. Il était loin de s'imaginer que le voyage allait durer encore deux années, au prix d'incroyables souffrances...

Références:


Le texte est basé sur Steven Runciman, " The First Crusade: Constantinople to Antioch " dans Kenneth M. Setton, dir., A History of the Crusades, Madison, The University of Wisconsin Press, 1969 (1955), vol.1, pp. 284-291; H. Hagemmeyer, " Chronologie de la première croisade ", Revue de l'Orient Latin, VI-VIII (1898-1901); Jean Flori, " Un problème de méthodologie. La valeur des nombres chez les chroniqueurs du Moyen Age à propos des effectifs de la première croisade ", Moyen Age, 1993, pp. 399-422 et Anonyme, traduit par Louis Bréhier, Histoire anonyme de la première croisade, Paris, Les Belles Lettres, 1964 (1924), p. 41.

(1) L'historien Jean Flori a écrit un article récent sur le sujet: " Un problème de méthodologie. La valeur des nombres chez les chroniqueurs du Moyen Age à propos des effectifs de la première croisade ", Moyen Age, 1993, pp. 399-422. Il affirme que les chroniqueurs n'emploient pas les nombres pour leur valeur symbolique, non plus pour leur valeur d'exacte comptabilité mathématique. Les nombres ne transcrivent pas la réalité, mais traduisent celle-ci. Ils servent à évoquer un ordre de grandeur plutôt qu'une précision mathématique. Ces nombres traduisent des réalités vécues par eux. Il ne faut pas accepter aveuglement les évaluations des chroniqueurs, non plus de les rejeter, mais essayer de comprendre une réalité que ceux-ci nous traduisent, à leur façon, par des nombres. Une autre critique que nous pouvons faire sur les nombres, les chroniqueurs peuvent parfois grossir les effectifs de leurs ennemis et, du même coup, diminuer celui de leurs côtés lors de combats importants, question de rendre une victoire encore plus brillante ou une défaite explicable. D'ailleurs, il serait bon de mentionner qu'encore aujourd'hui, malgré toutes les techniques contemporaines, nous éprouvons autant de difficultés à évaluer exactement une très grande foule. Par exemple, le 3 février 1991, une importante manifestation pro-irakienne et anti-occidentale avait eu lieu au Maroc. Selon certains journalistes, il s'y trouvait plus de 100 000 participants, 300 000 selon plusieurs quotidiens occidentaux, 700 000 selon la plupart des journaux marocains d'opposition et près d'un million selon les organisateurs. Même chose le 28 mars 1991 à propos d'une foule de manifestants favorables à Boris Eltsine à Moscou, les évaluations donnaient entre 50 000 et 500 000 personnes!

(2) Anonyme, traduction de Louis Bréhier, Histoire anonyme de la première croisade, Paris, Les Belles Lettres, 1964 (1924), p. 41.

(3) J. Flori, " Un problème de méthodologie... ", p. 409.

(4) Joshua Prawer, traduit de l'hébreu par G. Nahon, Histoire du royaume latin de Jérusalem, Paris, C.N.R.S. , 1975 (1969), p. 204. Ferdinand Lot estimait à 2 900 chevaliers; Steven Runciman à 4 200-4 500 chevaliers, 30 000 piétons et environ 8-9 000 non-combattants; Jonathan Riley-Smith à 91 000 hommes, dont 7 000 chevaliers, dans J. Flori, " Un problème de méthodologie... ", p. 419.

(5) J. Flori, " Un problème de méthodologie... ", pp. 413-414.

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V. De Nicée à Antioche



Départ de Nicée


La ville de Nicée prise, les croisés se préparèrent à lever le camp et à entreprendre la longue route vers Jérusalem. Le 26 juin 1097, l'avant-garde quitta la ville et le reste de l'armée suivit pendant les deux jours suivants. Au village de Lefke, les différents barons se réunirent et planifièrent l'ordre de marche. Ils décidèrent de diviser l'armée en deux détachements: l'un fut commandé par Bohémond de Tarente, regroupant les Normands d'Italie méridionale et ceux de la France septentrionale, les troupes de Robert de Flandres, celles de Robert de Normandie, celles d'Étienne de Blois et les Byzantins de Tatikios; l'autre fut placé sous le commandement du comte Raymond de Saint-Gilles, comprenant les Lorrains de Godefroi de Bouillon, les Français de Hugues de Vermandois et les Provençaux.


Bataille de Dorylée


Ainsi, le détachement commandé par Bohémond quitta Lefke le 29 juin, l'autre le suivit tout en conservant une certaine distance. Le sultan Kilidj Arslan, accompagné de troupes envoyées par les émirs Danichmendites et Hasan de Cappadoce, guettait l'arrivée des croisés dans les collines avoisinantes de Dorylée (Eskisehir). Le lendemain, les troupes franques arrivèrent dans la plaine en face de cette ville et y établirent leur camp. Pendant la nuit, les Turcs se rapprochèrent de celui-ci, mais ces mouvements ne passèrent pas inaperçus des Francs. Bohémond se prépara pour la bataille et l'assaut fut donné au levée du jour, le 1er juillet 1097. Les non-combattants furent placés au centre de la formation et les femmes reçurent la tâche de transporter de l'eau aux combattants pendant le combat. Bohémond ordonna aux piétons de monter les tentes et aux chevaliers de mettre pied à terre et de rester sur la défensive. Un cavalier fut envoyé auprès du deuxième détachement pour l'exhorter à venir à leur aide.


Bataille de Dorylée, miniature dans Roman de Godefroi de Bouillon, XIVe siècle, B. N., Paris.

Les Turcs attaquèrent de tous côtés et déchargèrent, par vagues successives, flèche après flèche sur les Francs habitués aux combats rapprochés. La tactique des Turcs peut se résumer à ceci: ils se servaient de leur mobilité (chevaux plus rapides et équipement moins lourd) pour harceler l'ennemi de tous côtés par des flèches (ils étaient passés maîtres dans l'archerie montée), et une fois l'ennemi suffisamment affaibli (notamment en tuant les montures des cavaliers), le corps à corps était engagé (1). Bohémond exhorta ses hommes à tenir bon et après plusieurs heures de combat, vers midi, l'avant garde du détachement de Raymond apparut.

Godefroi se fraya un chemin jusqu'au camp, puis le comte lui-même arriva. Par la suite, l'armée réunifiée forma un front étendu pour préparer son arme offensive la plus puissante: la charge de chevaliers. Les troupes de Bohémond, de Robert de Normandie et d'Étienne de Blois formèrent la gauche, le centre fut assumé par Robert de Flandres et Raymond de Saint-Gilles et la droite par Godefroi de Bouillon et Hugues de Vermandois. Voyant les croisés s'avancés vers eux, les Turcs hésitèrent. Puis, l'évêque Adhémar du Puy surgit derrière eux à la tête de troupes provençales. Désemparées, les troupes turques prirent la fuite et furent massacrées. La poursuite dura jusqu'au soir et le butin pris fut immense.


   La bataille de Dorylée selon l'Anonyme des Gesta Francorum

   La bataille de Dorylée selon Anne Comnène

   La bataille de Dorylée selon Ibn al-Qalânisî


Cette victoire permit aux croisés de traverser l'Anatolie et leur apprit à respecter les Turcs pour leurs capacités guerrières. (Voir les Turcs vus par l'Anonyme). Les pertes subies par les croisés semblent avoir été assez lourdes. Les différents chroniqueurs nous informent davantage sur le nombre de tués au sein de leur entourage immédiat que le nombre total au sein de l'armée. Ainsi, Raymond d'Aguilers évoque " quelques morts parmi les attardés de l'armée de Bohémond ", l'Anonyme précise la mort de deux chevaliers nobles, Geoffroy de Monte-Scabioso et Guillaume, frère de Tancrède, ainsi que d'autres chevaliers et piétons dont il ignore les noms. Pour sa part, Anselme de Ribemont reconnaît de nombreuses victimes et donne les noms de six personnages tués. Finalement, Albert d'Aix estime les pertes totales à 4 000 tués, en plus d'un grand nombre de non-combattants (2).


Traversée de l'Asie Mineure



Carte d'Asie Mineure. La ligne principale représente le trajet suivi par l'armée principale; celle en pointillée montre la route prise par Baudouin de Boulogne. Carte éditée par M. Griffe, 8 av. de la Station, Cagnes-sur-mer, 06800.

Après la bataille, les croisés se reposèrent pendant deux jours, puis quittèrent Dorylée le 4 juillet. Fort de leur expérience, les Francs ne séparèrent pas leur armée cette fois-ci. La marche en Anatolie fut pénible: le sultan pratiqua une politique de terres brûlées, dévastant les campagnes et bloquant les puits. De plus, nous étions en plein mois de juillet. Les guides fournis par les Byzantins eurent de la difficulté à reconnaître la route et à recueillir de l'information, augmentant d'un même coup l'animosité et la méfiance des Latins à l'égard des Grecs. L'armée atteignit Antioche-en-Pisidie (Yalvach) vers le 31 juillet, puis Philomelium (Akshehir). Pendant le trajet, Godefroi fut grièvement blessé par un ours lors d'une expédition de chasse et Raymond tomba dangereusement malade. Les croisés souffrirent beaucoup sur la route après Philomelium, car celle-ci traversait une zone aride entre des montagnes et un désert; ils y perdirent de nombreux chevaux et soldats.


   Traversée de l'Asie Mineure par l'Anonyme des Gesta Francorum


Finalement, les croisés arrivèrent à Iconium (Konya) vers le 15 août. La ville était déserte, mais ils purent se reposer pendant près d'une semaine. Les deux chefs furent rétablis et, suivant les conseils d'indigènes locaux, les croisés transportèrent suffisamment d'eau avec eux jusqu'à la prochaine étape, Héraclée (Eregli). Près de cette ville, une armée turque, composée de troupes danichmendites et de Hasan de Cappadoce, les attendait. Aussitôt, les Francs chargèrent, Bohémond en tête. Les Turcs se replièrent rapidement. Les Francs séjournèrent quelques jours à Héraclée, où ils décidèrent de la route à suivre. Au nord de la ville, la route se séparait en deux. Le chemin le plus court vers Antioche traversait le Taurus grâce aux Portes ciliciennes, mais cette route se prêtait fort peu à une grande armée et, de plus, la Cilicie était aux mains des Turcs. L'autre route, plus longue, se dirigeait vers le nord où, à Césarée Mazaca (Kayseri), elle rejoignait la principale route militaire byzantine. De Césarée, on pouvait alors traverser l'Antitaurus jusqu'à Marash (Maras), puis atteindre Antioche. L'avantage de cette dernière route s'expliquait par le fait qu'elle traversait une zone tenue par des Arméniens, des chrétiens qui étaient, en principe, des vassaux du basileus. Tatikios conseilla ce chemin, ce qui permettrait de rétablir un contact avec ces lointains vassaux de l'Empire, mais certains chefs francs, dont Tancrède, s'opposèrent à cette idée. Toutefois, les barons votèrent en faveur de la deuxième route. Mécontent, Tancrède se sépara de l'armée principale et décida de mener sa propre expédition en Cilicie. Ainsi, vers le 14 septembre, il quitta Héraclée, accompagné de 100 chevaliers et 200 piétons, et traversa les Portes ciliciennes. Baudouin de Boulogne le talonna de près avec des forces bien plus importantes, 500 chevaliers et 2 000 fantassins, ainsi que son cousin Baudouin du Bourg, Renaud comte de Toul et Pierre de Stenay. Ces deux cadets de famille menèrent une opération strictement de conquête et ne s'embarrassèrent pas de non-combattants; la femme de Baudouin resta avec l'armée principale.

Pendant ce temps, le gros de l'armée continua vers le nord, rattrapa Hasan de Cappadoce à Augustopolis (Nigde) et le défit de nouveau. À la fin de septembre, les croisés atteignirent Césarée Mazaca, désertée, et se dépêchèrent vers le sud-est pour atteindre Comana, une ville arménienne prospère que les Turcs danichmendites assiégeaient. Ces derniers levèrent le siège à l'approche des croisés et Bohémond, accompagné d'un certain nombre de ses chevaliers, se lança à leur poursuite. Les Arméniens de la ville, reconnaissant envers leurs bienfaiteurs, demandèrent à Tatikios de nommer un gouverneur. Celui-ci choisit Pierre d'Aulps, un chevalier provençal qui avait servi Robert Guiscard avant d'entrer au service du basileus. Ce choix diplomatique démontrait que la coopération entre Francs et Byzantins était toujours possible.

Ensuite, l'armée arriva à Coxon (Göksun), vers le 5-6 octobre, où les habitants arméniens se montrèrent aussi amicaux que ceux de Comana. Les croisés y restèrent trois jours. Pendant ce séjour, une rumeur leur parvint qu'Antioche avait été abandonnée par les Turcs. Bohémond n'était toujours pas revenu de sa poursuite et Raymond, sans consulter les autres, envoya 500 chevaliers sous le commandement de Pierre de Castillon afin de s'emparer de la ville. Parvenu sur le bord de l'Oronte, Pierre apprit la fausseté de la rumeur lorsqu'il entra en contact avec des Pauliciens de l'endroit. Il revint avertir le comte. Par la suite, les croisés quittèrent Coxon vers le 8 octobre et traversèrent péniblement l'Antitaurus. Craignant une embuscade des Turcs, les Francs décidèrent d'emprunter une route alternative et ce fut un véritable cauchemar. C'était la saison des pluies, les sentiers étaient devenus de véritables bourbiers et de nombreux chevaux glissèrent dans les précipices (VoirGesta Francorum). Finalement, les croisés atteignirent Marash vers le 13 octobre et s'y arrêtèrent pendant trois jours. Durant ce bref séjour, Bohémond revint de sa chevauchée bredouille et fut furieux contre le comte lorsqu'il apprit la petite manoeuvre tentée par ce dernier pour s'accaparer d'Antioche. Aussi, Baudouin de Boulogne revint à temps pour assister au décès de sa femme, vers le 15 octobre. Le gouverneur de Marash, un ancien fonctionnaire byzantin du nom de Tatoul, fut confirmé dans sa position par Tatikios. L'armée repartit le 16 octobre et arriva devant le Pont de fer (il était fortifié de deux tours), sur l'Oronte, quatre jours plus tard.


L'expédition cilicienne et la fondation du comté d'Édesse




Prise de Tarse par Tancrède,
miniature dans Roman de Godefroi de Bouillon et de Saladin,
XIVe siècle, BN, Paris.

Lorsque Tancrède et Baudouin quittèrent l'armée principale en septembre, leur objectif était simple: se tailler une principauté. La Cilicie se divisait entre les Turcs et les Arméniens. Les premiers occupaient la plaine côtière, les autres les montagnes. De plus, les Arméniens étaient fractionnés en plusieurs petites principautés et devaient leur existence au paiement d'un tribut aux seigneurs turcs. Vers le 21 septembre, Tancrède atteignit Tarse (Tarsus), la principale ville sur la plaine côtière cilicienne.

Il repoussa une sortie de la petite garnison turque qui tint bon pendant trois jours. Puis, Baudouin arriva avec son puissant contingent et les Turcs profitèrent de la nuit pour fuir. Le lendemain matin, les habitants grecs et arméniens ouvrirent les portes de la ville à Tancrède, mais celui-ci dut la rendre à Baudouin. Il n'eut pas le choix, ce dernier commandait à un plus grand nombre de troupes que Tancrède. Alors, le Normand se dirigea vers Adana pour y tenter sa chance.

Peu de temps après son départ, un contingent de trois cents Normands arriva devant la ville et se vit refuser l'entrée de celle-ci. Ils furent tous massacrés pendant la nuit par une troupe turque. Environ au même moment, une flotte de Danois, de Frisons et de Flamands, dirigée par Guynemer de Boulogne, mouilla au port de Longiniada (Mersin). Celle-ci remonta le Cydnus jusqu'à Tarse et Guynemer en profita pour rendre hommage à Baudouin. D'ailleurs, il fut nommé gouverneur de la ville . Par la suite, Baudouin se dirigea vers l'est.

Pendant ce temps, Tancrède avait reçu la soumission d'Adana, puis s'était dirigé vers Mamistra (Misis) au début d'octobre. La garnison turque prit la fuite à son approche et la population arménienne l'accueillit. Pour sa part, Baudouin décida de rejoindre l'armée principale, probablement à la nouvelle de l'agonie de sa femme, et passa par Mamistra. Tancrède lui refusa l'entrée et Baudouin dut camper près la rivière Jeyhan. Richard du Principat, cousin de Bohémond, voulut se venger du massacre des trois cents Normands devant Tarse et persuada Tancrède de se joindre à lui afin de mener une attaque surprise sur le camp des Lorrains. Étant donné leur infériorité numérique, ils furent repoussés facilement. Ensuite, les deux chefs se réconcilièrent officiellement et tombèrent d'accord pour quitter la Cilicie. Baudouin rejoignit l'armée principale à Marash, tandis que Tancrède, laissant une petite garnison à Mamistra, se dirigea vers le sud-est. Avec l'aide de Guynemer de Boulogne, il s'empara d'Alexandrette (Iskenderun), puis effectua une jonction avec l'armée principale au moment même où celle-ci atteignait Antioche.

Pour sa part, Baudouin séjourna quelques jours avec son frère et, une fois sa femme décédée, se dirigea vers l'est en compagnie de 100 chevaliers et de son chapelain, Foucher de Chartres. Partout où il chevaucha, il fut reçu comme un libérateur et des seigneurs arméniens se joignirent à lui, comme Fer et Nicusus. Aidé de ses alliés, Baudouin s'empara des deux forteresses principales de la région, Tell Bashir (Tilbesar) et Rawandan (Ravanda), qu'il accorda comme fief à Fer et à un autre Arménien nommé Pakrad. Pendant son séjour à Tell Bashir, il accueillit une ambassade du prince d'Édesse (Urfa), Thoros. Celui-ci contrôlait la ville depuis 1094, mais sa position s'était avérée précaire: il était âgé, sans enfant et de confession orthodoxe (non arménienne comme la population d'Édesse). Il offrit d'adopter Baudouin et de partager avec lui la direction de la ville. D'ailleurs, les Arméniens comprirent assez rapidement que le Franc n'était pas venu pour les libérer, mais pour se construire une principauté à leur dépend. Le Lorrain accepta l'offre de Thoros et quitta Tell Bashir au début de février 1098. En cours de route, il évita une embuscade tendue par l'émir Baldouk de Samosate (Samsat) et atteignit Édesse le 6 février, accompagné de 80 cavaliers. Thoros l'adopta immédiatement, ce qui donna lieu à une cérémonie particulière dans laquelle les deux hommes devaient se frotter la poitrine nue entre eux, puis la même chose entre Baudouin et la princesse arménienne. Sa première action comme co-régent fut de mener une expédition contre l'émir turc de Samosate, ce qui se solda par un échec. Quelques jours plus tard, le 7 mars 1098, des conspirateurs arméniens déposèrent Thoros en faveur de Baudouin. Le prince déchu se vit interdire de quitter le palais et tenta de s'échapper par une fenêtre, mais il fut tué par une populace enragée. Ainsi, à la demande de la population, Baudouin prit officiellement la tête du gouvernement d'Édesse le 10 mars. Le premier État latin d'Orient était fondé. La ville, une ancienne possession byzantine, aurait dû être remise à Byzance selon la convention du basileus avec les Francs, mais aucun représentant d'Alexis ne s'y trouvait, Constantinople était très loin et Baudouin pouvait affirmer qu'il avait pris le pouvoir à la demande de la population, non en combattant les Infidèles. D'ailleurs, Byzance sera confrontée à un problème beaucoup plus sérieux avec Antioche...


Références:

Le texte est basé sur Steven Runciman, "The First Crusade: Constantinople to Antioch" dans Kenneth M. Setton, dir., A History of the Crusades, Madison, The University of Wisconsin Press, 1969 (1955), vol.1, pp. 292-304; H. Hagemmeyer, "Chronologie de la première croisade", Revue de l'Orient Latin, VI-VIII (1898-1901) et Jean Flori, " Un problème de méthodologie. La valeur des nombres chez les chroniqueurs du Moyen Age à propos des effectifs de la première croisade ", Moyen Age, 1993, pp. 399-422.

(1) Pour en connaître plus sur les tactiques turques et franques, nous recommandons la lecture du excellent ouvrage de R.C. Smail, Crusading Warfare (1097-1193), Cambridge, Cambridge University Press, 1956.

(2) Jean Flori, " Un problème de méthodologie. La valeur des nombres chez les chroniqueurs du Moyen Age à propos des effectifs de la première croisade ", Moyen Age, 1993, pp. 414-415.

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VI. Le siège d'Antioche



Antioche (Antakya), ville byzantine jusqu'au moment où elle fut prise par les Seldjoukides en 1085. Deux années plus tard, le Turcoman Yaghi-Siyan fut nommé gouverneur de la cité. Celui-ci devint vassal de l'émir d'Alep, Redwan en février 1095, mais se montra déloyal envers son suzerain. Yaghi intriguait avec le frère de Redwan, Doukak, émir de Damas et l'atabeg de Mossoul, Kerbogha, tous deux des ennemis de l'émir alépin. C'est pourquoi Redwan refusa toute aide à son vassal lors de l'approche des Francs. Yaghi Siyan envoya son fils, Shams ad-Daulah, à Damas; Doukak lui promit des secours, ainsi que l'émir de Homs, Janah ad-Daulah, le régent de Doukak, l'atabeg Toughtigin et Kerbogha de Mossoul. Yaghi débarrassa la ville de tous éléments déloyaux: il expulsa plusieurs notables arméniens et grecs, fit emprisonner le patriarche orthodoxe Jean et ne fit confiance qu'aux Syriens jacobites. Des persécutions eurent lieu contre les Grecs et les Arméniens dans les villages environnants. D'ailleurs, à l'arrivée des croisés, plusieurs villages chrétiens se révoltèrent et les habitants massacrèrent les garnisons turques qui s'y trouvaient.



Carte de la région d'Antioche, basée sur celle dans Kenneth Setton, A History of the Crusades, vol. 1, p. 305.

L'armée franque atteignit les territoires d'Antioche le 20 octobre 1097. Robert de Flandres dirigea un détachement vers Artah (Reyhanli), au sud-est d'Antioche, où la population chrétienne avait massacré la garnison turque. Pendant ce temps, le gros de l'armée arriva devant le Pont de fer sur l'Oronte, à l'est de la ville. Le pont était défendu par deux tours et fut rapidement pris lors d'un assaut mené par Adhémar du Puy. De plus, les Francs capturèrent du bétail, des moutons et une grande quantité de blé destinés à Antioche. Le lendemain matin, Bohémond de Tarente conduisit l'avant-garde devant la ville et le reste de l'armée arriva peu de temps après.

La garnison turque n'était pas très nombreuse, Yaghi Siyan évita tout engagement et laissa les croisés prendre leur position. Bohémond s'installa devant la porte Saint-Paul, Raymond de Saint-Gilles à sa droite devant la porte du Chien et Godefroi de Bouillon face à la porte du Duc. Un pont de bateaux fut immédiatement construit du camp de Godefroi afin de traverser l'Oronte. Yaghi Siyan s'attendit à un assaut immédiat contre les remparts, mais Raymond était le seul en faveur d'une telle action. Les autres barons ne pouvaient se permettre des pertes et décidèrent d'attendre des renforts. Tancrède approchait et des rumeurs parcouraient le camp à propos de l'arrivée imminente d'une flotte. D'ailleurs, Bohémond, qui possédait une influence considérable sur l'armée, conseilla d'attendre. Peut-être qu'il était déjà décidé à acquérir Antioche pour lui-même.

Concernant les effectifs francs présents au début du siège, le chroniqueur Raymond d'Aguilers mentionne 300 000 milites et pedites (chevaliers et piétons), tandis qu'Albert d'Aix donne 600 000 hommes, sans compter les femmes et les enfants (1).


Carte de la ville d'Antioche, prise dans René Grousset, Histoire des croisades et du royaume franc de Jérusalem, Paris, Perrin, 1991 (1934), p. 69.

Par la suite, des contacts furent établis facilement dans la ville par les croisés, car de nombreux chrétiens indigènes ayant des familles à l'intérieur d'Antioche se trouvaient dans le camp franc. Aussi, parmi ces mêmes chrétiens, certains espionnaient pour le compte de Yaghi Siyan. Alors, celui-ci commença à organiser des sorties contre les croisés et garda contact avec sa garnison de Harim, à l'est du Pont de fer. L'armée franque n'était pas assez nombreuse pour entourer la ville au complet, ce qui permettait aux Turcs de sortir n'importe quand. Ainsi, de concert avec les troupes de Harim, le gouverneur put repousser les groupes partis fourrager.

Finalement, Tancrède arriva avec ses troupes et les Francs purent contrôler la route face au pont fortifié, au nord-est des remparts. De plus, vers la mi-novembre, une flotte génoise composée de treize navires mouilla au port de Saint-Siméon (Samandagi). Environ au même moment, Bohémond réussit à détruire la garnison turque d'Harim et à occuper la place forte. Vers le 23 novembre, les chefs croisés décidèrent de construire une tour sur les pentes orientale du mont Silpius, Malregard, afin de protéger le camp des sorties effectuées par la porte de fer, au sud-est de la ville. Aussi, les troupes provençales de Raymond prirent une nouvelle position en face du pont fortifié, au nord-est.

Avec l'arrivée de l'hiver, les vivres commencèrent à manquer dans le camp des croisés. Le 23 décembre, les barons prirent la décision que Bohémond et Robert de Flandres dirigeraient une expédition de pillage de l'autre côté de l'Oronte pour rassembler de la nourriture. Raymond et Adhémar s'occuperaient du camp, tandis que Godefroi était gravement malade et Robert de Normandie était absent. Ce dernier se trouvait à Laodicée (Latakia) où une flotte anglaise était arrivée depuis le milieu de décembre. Le 28 décembre, Bohémond et Robert quittèrent avec près de la moitié des forces combattantes. Yaghi Siyan en profita pendant la nuit suivante pour effectuer une sortie par le pont fortifié. Les troupes de Raymond n'étaient pas préparées pour un tel assaut, mais le comte contre-attaqua par une charge de chevaliers. Les Turcs furent repoussés jusque dans la ville et plusieurs chevaliers pénétrèrent dans celle-ci. Toutefois, un des chevaliers fut désarçonné de son cheval et l'animal se cabra sur les autres chevaux derrière. Il faisait noir et dans la confusion, les croisés paniquèrent. Ils retraversèrent le pont, poursuivis de près par les Turcs, mais une fois ralliés au camp, les musulmans se replièrent de nouveau. Les pertes furent lourdes de chaque côté.

Pendant ce temps, les troupes de Bohémond et de Robert se dirigeaient vers le sud tout en ignorant qu'une armée damascène s'avançait vers eux. Le 31 décembre, près d'Albara, les troupes turques surprirent l'armée de Robert qui se trouvait un peu en avant de celle de Bohémond. Celle-ci fut encerclée, mais Bohémond arriva et chargea les troupes ennemies. Les Turcs furent battus. Toutefois, les pertes importantes subies par les croisés ne permirent pas une poursuite. Les croisés saccagèrent un ou deux villages, puis revinrent à Antioche vers le 1-2 janvier 1098, ayant trouvé moins de vivres que prévus.

Les semaines suivantes furent éprouvantes pour les Francs. La saison des pluies battait son plein et la température se refroidissait. La disette régna dans le camp et on estime qu'un croisé sur sept mourut de faim. D'ailleurs, des groupes fourrageaient jusque dans les montagnes du Taurus.



Siège d'Antioche, miniature dans Histoire d'Outremer de Guillaume de Tyr, XIIIe siècle, Ms français, no. 2634, fol. 45, BN, Paris.

Les chrétiens indigènes apportèrent des vivres, mais les vendaient chèrement. Le patriarche orthodoxe de Jérusalem, se trouvant en exil à Chypre, envoya ce qu'il pût à Antioche. De plus, il ne restait que sept cents chevaux dans le camp. Face à de tels obstacles, plusieurs croisés désertèrent et retournèrent en Europe. Ainsi, vers le 20 janvier 1098, Tancrède arrêta en pleine fuite et ramena Pierre l'Ermite et Guillaume le Charpentier, vicomte de Melun, au camp. Pierre fut pardonné, tandis que Guillaume passa la nuit debout dans la tente de Bohémond. Il dut promettre de rester avec l'armée jusqu'à Jérusalem, mais il brisa plus tard ce serment et déserta.


   Désertions des croisés selon les Gesta Francorum


Au début du mois de février 1098, ce fut au tour du commandant byzantin Tatikios de quitter précipitamment Antioche. Les chroniqueurs nous donnent des raisons divergentes: Anne Comnène affirme que Bohémond avait dit à Tatikios que les autres barons tramaient un complot contre lui; Raymond d'Aguilers mentionne qu'il quitta lorsque sa suggestion de resserrer le siège fut rejetée et l'Anonyme donne la lâcheté comme raison. D'ailleurs, les amis de Bohémond ne prirent pas de temps à répandre la nouvelle dans le camp que Tatikios s'était enfui à l'annonce d'une attaque imminente par les Turcs. De plus, on se demanda si l'obligation de remettre Antioche à Byzance devenait nulle étant donné que le représentant du basileus avait agi de façon aussi déshonorante. (Voir Gesta Francorum)


Bataille du lac d'Antioche


En effet, une armée de secours alépine se dirigeait vers Antioche. L'émir Redwan s'était réconcilié avec son vassal et menait ses troupes, en plus de celles de son cousin Sokman d'Amida (Diyarbakir) et de son beau-père, l'émir d'Hama. En chemin, il reprit Harim aux croisés. Sur le conseil de Bohémond, les Francs envoyèrent toute leur cavalerie pour attirer l'armée turque sur un terrain étroit où le lac d'Antioche se rapproche le plus de l'Oronte, tandis que l'infanterie restait devant la ville. Les Francs attaquèrent les Turcs près du Pont de fer et réussirent à les attirer à l'endroit voulu. Redwan ne put se servir de sa supériorité numérique et de sa mobilité afin de déborder les croisés et après plusieurs charges, les Turcs furent écrasés et mis en déroute. La garnison d'Harim se joignit à la débâcle et les Francs réoccupèrent la place forte. Pendant ce temps, le gouverneur d'Antioche en profita pour effectuer une sortie contre les piétons, mais se replia à la nouvelle de la défaite de l'émir d'Alep.


Poursuite du siège



Siège et prise d'Antioche, miniature dans Histoire d'Outremer de Guillaume de Tyr, XIIIe siècle, BN, Paris.

La victoire augmenta le moral des croisés, toutefois, le problème d'approvisionnement était loin d'être réglé. Il fut décidé de resserrer le siège par la construction de tours devant les portes, mais les matériaux manquaient. Le 4 mars, une flotte anglaise avec des pèlerins italiens mouilla au port de Saint-Siméon; Bohémond et Raymond se rendirent au port afin d'escorter les hommes et les matériaux vers Antioche.

Ainsi, lors de leur retour deux jours plus tard, les croisés lourdement chargés tombèrent dans une embuscade. Les Francs furent dispersés et abandonnèrent l'équipement aux ennemis. Une fois informé, Godefroi s'apprêta à se rendre à leur secours, mais la garnison turque effectua une sortie. Godefroi réussit à contenir l'assaut et l'arrivée de Bohémond et de Raymond lui permit de repousser les Turcs dans la ville.

Par la suite, les croisés attaquèrent les troupes musulmanes responsables de l'embuscade, les mirent en déroute et reprirent tout l'équipement perdu. Les pertes turques furent très lourdes dans ces combats. Pour ce qui est des pertes franques, Raymond d'Aguilers nous donne 300 morts, Albert d'Aix mentionne 500 tués, Étienne de Blois rapporte la mort de deux milites et 500 pedites, Anselme de Ribemont évalue les pertes à 1 000 tués, tandis que l'Anonyme estime le nombre à 1 000 milites et pedites. Les nombres varient, mais les différents chroniqueurs s'accordent sur un ordre de grandeur variant entre 500 et 1 000 tués (2).


   Lettre d'Étienne de Blois à Adèle de Normandie sur le siège d'Antioche


Les matériaux ramenés de Saint-Siméon permirent la construction d'une forteresse. Celle-ci fut construite près d'une mosquée adjacente à un cimetière en face du pont fortifié, et les croisés la surnommèrent mahomerie. Raymond se chargea de la défense. Ensuite, une autre tour fut construite près de la porte de Saint-George et assignée à Tancrède. Ainsi, l'étau se resserra sur la ville et l'approvisionnement s'y rendit plus difficilement. Le seul accès qui n'était pas gardé fut la porte de fer, donnant sur les pentes abruptes du mont Silpius.

Avec l'arrivée du printemps, les croisés eurent plus de facilité à obtenir des provisions tandis que la famine commençait à sévir à l'intérieur d'Antioche. Par contre, la rumeur arriva sur le rassemblement d'une armée musulmane par l'atabeg de Mossoul, Kerbogha, afin de délivrer la cité assiégée. De plus, le califat fatimide d'Égypte envoya une ambassade au camp des croisés en mars 1098. Alexis Comnène avait suggéré aux Francs d'entrer en contact avec les Égyptiens, car ceux-ci étaient des ennemis des Turcs. Les Fatimides suggérèrent la partition de la Syrie, le nord aux croisés, le sud pour eux-mêmes. Les Égyptiens ne comprenaient pas le but ultime de la croisade, Jérusalem, et les croisés refusèrent catégoriquement. L'ambassade retourna au Caire accompagnée de délégués francs, mais aucune entente fut atteinte. Ainsi, le vizir fatimide al-Afdal envoya une armée en Palestine qui reprit Jérusalem en août 1098 et réoccupa la région jusqu'au nord de Beyrouth.

L'atabeg Kerbogha quitta Mossoul au début du mois de mai, son armée renforcée par des détachements des sultans persan et irakien, ainsi que de plusieurs princes mésopotamiens. Toutefois, il fit l'erreur de mettre le siège devant Édesse, occupée par Baudouin de Boulogne, où il s'attarda vainement pendant trois semaines. Ce délai permit aux croisés de s'emparer d'Antioche avant son arrivée, car Bohémond n'avait pas perdu son temps. Il était entré en négociation avec un certain Firouz, probablement un Arménien. Ce dernier accepta de lui donner accès aux tours qu'il contrôlait, soit la tour des Deux Soeurs et les deux tours adjacentes, devant la tour de Tancrède. Bohémond, sans mentionner ses tractations secrètes, exigea aux autres barons la ville pour lui-même. Les autres seigneurs étaient prêts à lui laisser, mais Raymond refusa. Celui-ci évoqua le serment prêté au basileus, toutefois, nous pouvons supposer que le comte voulait la cité autant que Bohémond. Finalement, les barons décidèrent que si les troupes de Bohémond étaient les premières à entrer dans la ville et que si Alexis Comnène ne venait pas personnellement recevoir la cité, celle-ci lui serait accordée.


Prise d'Antioche et siège par Kerbogha


Par la suite, lorsque la nouvelle de l'arrivée imminente de l'armée de Kerbogha parvint aux Francs, un certain climat de panique s'installa dans le camp. Les déserteurs se firent nombreux. Le 2 juin, un corps important de Français du nord dirigé par Étienne de Blois prit la route vers Alexandrette (Voir Gesta Francorum). Le jour même, Firouz annonça à Bohémond qu'il était prêt à lui délivrer la ville. Il proposa au Normand d'assembler toute l'armée et de se diriger vers l'est, feignant d'aller à la rencontre de Kerbogha. Par la suite, une fois la nuit tombée, il lui dit de revenir à Antioche devant la section du rempart sous sa garde. De cette façon, Firouz assurait Bohémond que la surveillance de la garnison serait plus relâchée et permettrait d'accéder dans la ville plus facilement.



Prise d'Antioche par les croisés, miniature dans
Les passages faits Outremer par les Français
contre les Turcs et autres Sarrazins et Maures outremarins

de Sébastien Mamerot, 1490, BN, Paris.


Bohémond révéla ses machinations à ses collègues. Les conseils de l'Arménien furent suivis et, juste avant l'aube, le contingent de Bohémond se rendit devant la tour des Deux Soeurs tandis que le gros de l'armée attendait en face du pont fortifié. Une échelle fut dressée contre la tour et Firouz accueillit soixante chevaliers et, suite à sa propre demande, Bohémond lui-même. Toutefois, l'échelle se rompit, empêchant à un plus grand nombre de Francs d'accéder dans la ville. Les Normands prirent contrôle de la section commandée par Firouz, puis quelques chevaliers ouvrirent la porte de Saint-George. Par la suite, avec l'aide des citoyens chrétiens d'Antioche, la porte du pont fortifié fut ouverte et l'armée franque entra. Celle-ci, aidée des Grecs et des Arméniens, massacra tous les Turcs et les Musulmans qu'elle pût trouver; plusieurs chrétiens orientaux furent tués dans la confusion.

Yaghi Siyan prit la fuite accompagné de ses gardes du corps, mais il tomba de son cheval et fut abandonné à son sort. Un paysan arménien passant par là le reconnut et lui coupa la tête qu'il ramena à Bohémond. Le fils du gouverneur turc, Shams ad-Daulah, s'enferma à l'intérieur de la citadelle avec tous les soldats qu'il pût rassembler. Bohémond tenta de prendre la citadelle d'assaut, mais fut blessé et se contenta de l'entourer de soldats.


   Prise d'Antioche selon l'Anonyme des Gesta Francorum

   Prise d'Antioche selon Ibn al-Qalânisî

   Prise d'Antioche selon Ibn al-Athir

   Prise d'Antioche selon Hovannès, moine arménien

   Siège et prise d'Antioche selon Anne Comnène

   Siège et prise d'Antioche selon Raymond d'Aguilers




Pendant le massacre des habitants musulmans d'Antioche,
certains se réfugièrent dans la citadelle. Miniature dans
Histoire d'Outremer de Guillaume de Tyr, XIIIe siècle, BN, Paris.


Ainsi, Antioche redevint chrétienne le 3 juin 1098. À peine la ville nettoyée des cadavres, la défense des remparts assurée et le patriarche orthodoxe remis sur son siège que l'armée de Kerbogha arrivait, soit le 7 juin. L'atabeg prit aussitôt le contrôle de la citadelle en envoyant Ahmad ibn-Marwân prendre la place de Shams ad-Daulah.

Le nouveau commandant dirigea une attaque contre les croisés le 9 juin, mais ses forces furent arrêtées par un mur que les Francs avaient construit autour de la citadelle. Alors, l'atabeg décida d'entourer la ville et de l'affamer. Les croisés tentèrent une sortie le 10 juin, mais furent repoussés en subissant de lourdes pertes. Le même soir, un groupe de Francs, dirigé par le beau-frère de Bohémond, Guillaume de Grant-Mesnil, déserta. Les déserteurs traversèrent les lignes ennemies et atteignirent le port de Saint-Siméon. Ils persuadèrent les marins génois que la croisade était perdue et se firent transporter à Tarse. (Voir les Gesta Francorum)

Ils furent rejoints par Étienne de Blois. Celui-ci avait voulu retourner à Antioche, mais à la vue de l'armée musulmane, il avait rebroussé chemin. De Tarse, les déserteurs francs naviguèrent jusqu'à Adalia, puis marchèrent en Anatolie en juin. Au même moment, le basileus Alexis Comnène se trouvait à Philomelium et se dirigeait vers Antioche. Il rencontra les déserteurs qui, afin de justifier leur propre fuite, lui dirent qu'il était trop tard pour sauver la croisade et qu'Antioche était tombée de nouveau aux mains des Turcs. Aussi, le basileus reçut la nouvelle qu'une armée turque se préparait à l'attaquer avant son arrivée en Syrie. Alors, Alexis décida de rebrousser chemin car c'était de la folie, selon les informations qu'il détenait, de continuer sa route. Pour les Francs à Antioche, sa décision fut perçue comme une trahison et les prétentions de Bohémond sur la ville s'en trouvèrent renforcées.


Découverte de la Sainte Lance


Pendant ce temps, Kerbogha continuait le siège. Les croisés avaient trouvé peu de vivres lors de la prise de la ville et la famine revint parmi les Francs (Voir les Gesta Francorum). Le moral était à son plus bas niveau et ce fut à ce moment que leur foi dans le surnaturel les sauva. Vers le 10 juin, un pauvre pèlerin de l'armée provençale, Pierre Barthélemy, annonça au comte Raymond que l'apôtre Saint-André lui était apparu à cinq reprises depuis les six derniers mois. Le saint lui avait annoncé que la lance ayant percé le côté du Christ se trouvait dans la cathédrale de Saint-Pierre. L'évêque Adhémar du Puy ne fut pas convaincu, mais Raymond le fut et on décida d'effectuer des recherches dans cinq jours. La nouvelle de la vision de Pierre se répandit parmi les croisés affamés et désespérés. Le même soir, un prêtre provençal, Étienne de Valence, annonça aux barons réunis qu'il avait eu une vision du Christ et de la Vierge. Le Christ lui aurait dit que si les croisés se repentaient de leurs péchés, ils recevraient un signe de sa faveur dans cinq jours. Étienne, ayant une meilleure réputation que Pierre Barthélemy et ayant juré sur les Saintes Écritures, fut cru par Adhémar. L'atmosphère fut à son comble lors de l'apparition d'un météore pendant la nuit du 13-14 juin.

Ainsi, le 15 juin, des fouilles furent entreprises dans la cathédrale, mais on ne trouva rien. Ce fut à ce moment que Pierre Barthélemy se jeta dans le trou et trouva rapidement (par hasard) une pièce de fer; c'était la Sainte Lance! La nouvelle de la découverte se répandit rapidement parmi les croisés et la relique fut conduite dans les quartiers de Raymond. L'évêque Adhémar et plusieurs autres ne virent qu'une supercherie. Par contre, le gros de l'armée ne douta pas de l'authenticité de la relique et personne ne voulut gâcher les effets positifs sur le moral des croisés en dénonçant ouvertement la supercherie.

Par la suite, Bohémond fut informé des difficultés qui régnaient dans le camp de Kerbogha. La grande armée musulmane était loin d'être homogène et les différents émirs se disputaient entre eux. Les barons, espérant persuader l'atabeg de lever le siège, envoyèrent une ambassade le 27 juin. Celle-ci était composée de Pierre l'Ermite et d'un certain Herluin qui parlait l'arabe et le perse. Kerbogha exigea une reddition inconditionnelle et les Francs se préparèrent pour la bataille.


Bataille contre Kerbogha


Tôt le lendemain matin, l'armée se divisa en six " batailles " ou divisions: les Français et les Flamands sous Hugues de Vermandois et Robert de Flandres; les Lorrains sous Godefroi; les Normands de Normandie sous Robert Courte-Heuse; les Provençaux dirigés par Adhémar du Puy (Raymond étant malade demeura à l'intérieur de la ville et se chargea de surveiller la garnison de la citadelle avec 200 hommes.); les Italiens et les Normands d'Italie formèrent les deux dernières batailles sous Tancrède et Bohémond. Les troupes sortirent de la ville par le pont fortifié et prirent position dans la plaine en face de la ville. Le moral était haut et la " Sainte Lance ", transportée par le chroniqueur Raymond d'Aguilers, accompagnait l'armée.


La Sainte Lance, portée par Adhémar du Puy,
selon une enluminure du XIIIe siècle
(BL MS Yates Thompson 12, f. 29)


Kerbogha, croyant pouvoir anéantir l'armée franque d'un seul coup, laissa les Francs sortir de la ville et prendre position au lieu de les attaquer. Une fois les croisés assemblés, l'atabeg hésita. Il tenta de discuter d'une trêve, mais les Francs ignorèrent le messager et avancèrent. Kerbogha envoya un détachement attaquer l'aile gauche franque (la droite était protégée par l'Oronte). Bohémond avait anticipé le mouvement et avait formé une septième bataille sous le commandement de Renaud de Toul. Malgré une pluie de flèches, les croisés chargèrent le centre de l'armée turque. Celle-ci vacilla et de nombreux émirs, mécontents de Kerbogha, commencèrent à déserter. Kerbogha fit mettre le feu dans le champ devant sa position pour ralentir les Francs et tenter de mettre de l'ordre dans son armée, mais la cavalerie lourde franque piétina les flammes et engagea les troupes musulmanes. Les pertes furent lourdes des deux côtés, puis l'armée turque se débanda. Les croisés résistèrent la tentation de piller le camp de Kerbogha et poursuivirent les fuyards jusqu'au Pont de fer. Un grand nombre fut tué et les paysans chrétiens des environs achevèrent les traînards. Kerbogha retourna à Mossoul. La garnison turque de la citadelle se rendit, non à Raymond, mais à Bohémond après la bataille. La totalité d'Antioche était maintenant chrétienne.


   Découverte de la Sainte Lance et défaite de Kerbogha selon l'Anonyme

   Découverte de la Sainte Lance selon Raymond d'Aguilers

   Découverte de la Sainte Lance selon Anne Comnène

   Arrivée et défaite de Kerbogha selon Ibn al-Qalânisî

   Découverte de la Sainte Lance et défaite de Kerbogha selon Ibn al-Athir



Références:

Le texte est basé sur Steven Runciman, " The First Crusade: Constantinople to Antioch " dans Kenneth M. Setton, dir., A History of the Crusades, Madison, The University of Wisconsin Press, 1969 (1955), vol.1, pp. 308-324; H. Hagemmeyer, " Chronologie de la première croisade ", Revue de l'Orient Latin, VI-VIII (1898-1901) et Jean Flori, " Un problème de méthodologie. La valeur des nombres chez les chroniqueurs du Moyen Age à propos des effectifs de la première croisade ", Moyen Age, 1993, pp. 399-422.

(1) Jean Flori, " Un problème de méthodologie. La valeur des nombres chez les chroniqueurs du Moyen Age à propos des effectifs de la première croisade ", Moyen Age, 1993, p. 409. Les chiffres sont bien entendu trop élevés.

(2) J. Flori, " Un problème de méthodologie... ", p. 415.



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VII. D'Antioche à Ascalon



Suite de la victoire sur Kerbogha


La victoire spectaculaire remportée sur Kerbogha, l'atabeg de Mossoul, assura aux croisés la possession d'Antioche (Antakya) (Voir la lettre d'Anselme de Ribemont et la lettre des seigneurs aux chrétiens d'Europe). Toutefois, selon la convention établie entre les Byzantins et les Francs, ces derniers devaient remettre la ville au basileus Alexis Comnène. Aucun représentant byzantin ne se trouvait pourtant au sein de l'armée et le basileus n'était pas venu lui-même pour réclamer son dû. Alors, Bohémond de Tarente réclama ouvertement la possession de la ville et tous les barons, excepté Raymond de Saint-Gilles, le supportèrent. Hugues de Vermandois, qui voulait retourner en France, fut délégué à Constantinople au début du mois de juillet 1098. Après un périple difficile, celui-ci arriva à la capitale byzantine et fut reçu par Alexis. Il n'était pas question pour le basileus de diriger une expédition en Syrie avant la fin de l'année et l'empire perdait ainsi l'unique véritable chance de regagner ces territoires perdus.

Pendant ce temps, les croisés décidèrent d'attendre à Antioche jusqu'au premier novembre afin que les soldats puissent se reposer. Plusieurs Francs en profitèrent pour visiter Baudouin de Boulogne à Édesse (Urfa). Bohémond occupa la citadelle et une grande partie d'Antioche tandis que Raymond s'installa dans le palais et le pont fortifié. Cependant, une épidémie (choléra, peste ou typhoïde?) éclata dans la ville. L'évêque Adhémar de Monteil fut parmi les premières victimes. Sa mort fut un désastre. En tant que légat et ami du pape, il était le seul croisé dont l'autorité ne fut pas mise en question et il était respecté de tous. Il avait travaillé fort à maintenir les nombreux seigneurs croisés unis malgré leurs différends et, maintenant, tout risquait de s'effondrer. Afin d'éviter l'épidémie, les barons quittèrent la ville, puis revinrent une fois celle-ci terminée. Toutefois, l'armée fut décimée par ce fléau. Raymond d'Aguilers affirme que les croisés perdirent 200 000 hommes pendant le siège d'Antioche par maladie, famine, combats, puis par l'épidémie. Pour sa part, Albert d'Aix attribue 100 000 morts à l'épidémie seulement (1).

Les barons écrivirent une lettre au pape lui annonçant la mort de son légat Adhémar et lui enjoignant de venir les rejoindre pour mener à terme la guerre qu'il avait lui-même provoquée. (Voir la lettre des seigneurs au pape). En attendant la réponse, les Francs ravagèrent la campagne environnante afin de se procurer des vivres pour l'hiver et montèrent des petites expéditions de conquête contre les Musulmans. Ainsi, en octobre, Raymond occupa Chastel Rouge sur l'Oronte, au sud d'Antioche, puis Albara, un peu plus à l'est. Dans cette ville musulmane, la mosquée fut transformée en cathédrale et le premier évêché latin d'Orient fut fondé.


Carte d'Antioche à Tripoli, basée sur celle dans Kenneth Setton, History of the Crusades, vol. 1, p. 305. La ligne jaune représente la route suivie par l'armée principale des croisés; la bleue celle entreprise par Godefroi et Robert de Flandres.

Par la suite, les barons se réunirent le 5 novembre afin de planifier le reste de l'expédition. Toutefois, la question de la possession d'Antioche n'était pas encore résolue. Finalement, Raymond accepta de reconnaître la prétention de Bohémond à condition que ce dernier promit de marcher avec l'armée jusqu'à Jérusalem. Celui-ci jura de ne pas retarder ou nuire à la croisade. Par contre, les troupes du comte de Saint-Gilles continuèrent d'occuper le pont et le palais. La date du départ pour Jérusalem ne fut pas fixée et afin de distraire les troupes, on décida d'attaquer la ville de Maarrat an Numan. La ville fut assiégée le 27 novembre par Raymond et Bohémond et prise le 11 décembre. Les habitants furent massacrés ou vendus comme esclaves.



Ce fut pendant cette période que des croisés, mourant de faim, mangèrent des cadavres de Musulmans. Ce sombre épisode est rapporté par plusieurs chroniqueurs latins, mais la plupart des sources musulmanes, comme Ibn al-Qalânisi ou Ibn al-Athir, n'en font pas mention (2).


   Siège de Maara selon l'Anonyme des Gesta Francorum

   Siège de Maara selon Ibn al-Qalânisî

   Siège de Maara selon Ibn al-Athir


Vers Noël 1098, des représentants de l'armée firent savoir au comte que les troupes étaient prêtes à le reconnaître comme chef de la croisade s'il les conduisait à Jérusalem. Il accepta et quitta Maarrat pour Chastel Rouge afin d'organiser le périple. Raymond tenta d'imposer son autorité auprès des autres barons en les soudoyant, mais ce fut peine perdue, tous refusèrent. Ce ne fut que plus tard que Tancrède acceptera les 5 000 solidi du comte. Exaspérée par ces querelles entre les chefs, l'armée rasa les fortifications de Maarrat. Raymond comprit le message et marcha, les pieds nus, hors de la ville ruinée en janvier 1099 pour diriger la croisade à Jérusalem. Il était accompagné de tous ses hommes, incluant la garnison d'Antioche, et tous ceux qui voulaient le suivre. Robert de Normandie et Tancrède l'accompagnèrent, tandis que Godefroi et Robert de Flandres refusèrent d'admettre son autorité et restèrent à Antioche. Pour sa part, Bohémond oubliait sa promesse faite en novembre et demeurait à Antioche où il était devenu le maître incontesté.



La marche vers Jérusalem


L'armée des croisés rencontra peu d'opposition pendant sa marche vers Jérusalem. Les différents émirs musulmans se disputaient entre eux et ne pensaient qu'à leurs intérêts personnels. Ainsi, la dynastie arabe des Banû Mounqidh de Shaizar fournit des guides aux Francs pour traverser leur territoire. Les Francs purent même acheter sur les marchés de Shaizar et de Hama. Les croisés passèrent par Masyaf, où l'émir conclut un traité avec eux, par Rafaniyah désertée par ses habitants, puis ils pénétrèrent dans la vallée du Buqai'ah, entre les montagnes du Liban et le Jabal Ansâriyah. Ils s'emparèrent de la forteresse d'Hisn al-Akrâd (le futur Crac des chevaliers) où ils reçurent une ambassade de Tripoli. À la demande de celle-ci, des émissaires francs furent envoyés et ceux-ci revinrent émerveillés par les richesses qu'ils avaient vues. Ces derniers suggérèrent au comte, en soulignant le caractère peu guerrier des habitants de Tripoli, d'attaquer une de leurs villes afin de leur soutirer une forte somme d'argent pour payer la bonne conduite de l'armée. Raymond, à court d'argent, accepta et assiégea Arqa, à 25 km. de Tripoli, le 14 février 1099. Le comte envoya aussi deux de ses vassaux, Raymond de Pilet et Raymond de Turenne, s'emparer de Tortose (Tartus). De plus, la ville de Maraclée, au nord de Tortose, reconnut la suzeraineté de Raymond.

Les nouvelles de ces succès atteignirent Antioche et incitèrent les autres barons à se joindre à l'armée. Ainsi, Godefroi et Robert de Flandres descendirent la côte et s'arrêtèrent pour assiéger la ville portuaire de Jabala (Jablah). Bohémond, craignant une attaque d'Alexis Comnène pendant son absence, préféra rester à Antioche. Pendant ce temps, le siège d'Arqa piétinait. La ville était défendue avec une vigueur inattendue et les Francs manquaient d'engins de siège. En mars, une rumeur parvint au camp annonçant l'arrivée imminent du calife de Bagdad. La nouvelle s'avéra fausse, mais Raymond envoya un message à Godefroi et Robert les suppliant de venir le rejoindre. Ceux-ci abandonnèrent, à contre coeur, le siège de Jabala et se dirigèrent vers Arqa avant la fin de mars.

Par la suite, les différents chefs continuèrent à se disputer; les barons refusant de reconnaître Raymond comme leur supérieur. Les troupes, prenant exemple chez leurs commandants, refusèrent de coopérer entre elles pendant le siège. De plus, une lettre d'Alexis Comnène arriva au camp au début d'avril. Le basileus annonçait son départ prochain pour la Syrie et, si les barons voulaient l'attendre, il serait parmi eux à la fin de juin afin de les mener en Palestine. Raymond était en faveur de l'offre, mais les autres seigneurs ne désiraient pas la présence du basileus et le gros de l'armée se montrait impatient de poursuivre la route. La proposition d'Alexis fut rejetée. De plus, les ambassadeurs francs, qui avaient été envoyés au Caire en mars 1098, revinrent avec l'offre finale des Fatimides. Ceux-ci étaient prêts à former une alliance avec les croisés si ces derniers n'avançaient pas en Palestine et offraient le libre accès aux pèlerins voulant effectuer leur pèlerinage à Jérusalem. L'offre fut immédiatement rejetée.

Raymond continua à s'entêter devant Arqa et certains croisés commencèrent à exprimer leur mécontentement. Ainsi, le 5 avril, Pierre Barthélemy, celui qui avait découvert la " Sainte lance " à Antioche, annonça que Saint-André et Saint-Pierre lui étaient apparus et lui avaient dit que la ville devait être prise d'assaut sur-le-champ. Les adversaires de Raymond défièrent la vision et qualifièrent Pierre d'imposteur et que la " Sainte lance " était une supercherie. Furieux, Pierre demanda de subir le jugement de Dieu, l'ordalie, par l'épreuve du feu. Ainsi, le 8 avril 1099, un immense brasier fut allumé et Pierre, brandissant la lance, s'avança dans le feu. Il en sortit affreusement brûlé et mourut dans l'agonie douze jours plus tard... Les Provençaux, loyaux au comte, déclarèrent que Pierre avait été repoussé dans les flammes, mais il était trop tard. Une grande partie de l'armée ne croyaient plus en l'authenticité de la relique et le prestige de Raymond en souffrit. Toutefois, il conserva la lance dans sa chapelle.


Carte de Tripoli à Tyr, basée sur celle dans K. Setton, History of the Crusades, vol. 1, p. 306.

Le siège continua et de nombreux croisés perdirent la vie, dont Anselme de Ribemont. Raymond dut se rendre à l'évidence et l'opération fut abandonnée le 13 mai. L'armée se dirigea vers la côte et, à l'approche de Tripoli, l'émir délivra trois cents prisonniers francs et donna quinze milles besants et quinze superbes chevaux. De plus, il ravitailla l'armée et fournit des guides. Il acccordait ces largesses afin d'éviter tout pillage sur son territoire. Le 19 mai, les croisés traversèrent la rivière du Chien, au nord de Beirouth et pénétrèrent en territoire fatimide. Les Francs passèrent par Beirouth, où ils reçurent des vivres en échange de leur bonne conduite, par Sidon (Saïda), où ils repoussèrent une sortie de la garnison et ravagèrent les banlieus en représailles, puis s'arrêtèrent deux jours devant Tyr (Sour).



Pendant cette brève halte, Baudouin du Bourg et un groupe de chevaliers d'Édesse se joignirent à eux. Les Francs continuèrent leur marche le 23 mai, atteignirent Acre (Akko) le lendemain et y reçurent des provisions. Les croisés traversèrent Haifa, puis Césarée (Qaisariyah) le 26 mai où ils séjournèrent quatre jours. Ils poursuivirent par Arsouf et, au nord de Jaffa, pénétrèrent vers l'intérieur des terres. Ils arrivèrent à Ramla, abandonnée par sa population musulmane, le 3 juin. Ils y restèrent deux jours, puis atteignirent Emmaüs où une déléguation de Bethléem leur demanda de les délivrer des Musulmans. Tancrède et Baudouin du Bourg, accompagnés de quelques chevaliers s'y rendirent et y furent accueillis chaleureusement par la population entièrement chrétienne. Finalement, le 7 juin 1099, du haut de la colline de Montjoie, les croisés aperçurent Jérusalem. Avant la tombée de la nuit, l'armée chrétienne campait devant les remparts.




Carte de Tyr à Jérusalem, basée sur celle dans K. Setton, History of the Crusades, vol. 1, p. 306.


Hierusalem!


Après tant d'épreuves, de privations et plus de deux ans et demi après leur départ d'Europe, les croisés atteignaient finalement leur but ultime, Jérusalem! Toutefois, leurs peines n'étaient pas terminées. La ville était une forteresse de renom et ses remparts étaient bien entretenus. De plus, l'approche vers les murs n'était possible que par le nord et par le mont Sion, car des ravins protégeaient les autres côtés. Le gouverneur fatimide commandait une garnison nombreuse de troupes arabes et soudanaises, les citernes de la ville étaient remplies et les troupeaux avaient été acheminés à l'intérieur des murs. Aussi, le gouverneur avait expulsé tous les chrétiens de la ville, diminuant du même coup le risque de trahison et plus de la moitié des bouches à nourrir. Les Juifs reçurent l'autorisation de demeurer. Les puits des environs avaient été empoisonnés, sauf la piscine de Siloé, et la garnison attendait une armée de secours d'Égypte. Les croisés n'étaient pas au bout de leurs peines. Ils opéraient en plein coeur de l'été dans un pays qu'ils ne connaissaient pas, leurs communications avec l'extérieur étaient incertaines, tout comme leur ravitaillement. De plus, ils n'étaient pas assez nombreux pour investir la ville complètement ou empêcher des sorties de la garnison. Selon Raymond d'Aguilers, les combattants francs se chiffraient à 1200-1500 chevaliers et 12 000 piétons. Toutefois, ils étaient aguerris après plus de deux années de campagne et de privations, ils possédaient une foi intense et s'attendaient à une intervention divine.

Le siège débuta et l'approvisionnement en eau devint rapidement un problème important. Des groupes devaient parcourir jusqu'à dix kilomètres et plus pour trouver des sources d'eau potable. Aussi, la nourriture vint à manquer. Le seul espoir pour la croisade résidait dans la prise de la ville le plus rapidement possible. Les croisés se concentrèrent au nord: Robert de Normandie à l'est, devant la porte Saint-Étienne; Robert de Flandres à sa droite; Godefroi et Tancrède au coin nord-ouest; puis Raymond à l'ouest, mais le terrain était trop accidenté et le comte déplaça son camp sur la montagne de Sion, au sud.




Carte de Jérusalem prise dans Joshua Prawer, Histoire du Royaume Latin de Jérusalem, Paris, C.N.R.S., 1969, vol. 1, p. 224.


Le 12 juin, les barons effectuèrent un pèlerinage sur le mont des Oliviers où ils rencontrèrent un vieil ermite qui leur ordonna d'attaquer le lendemain. Dieu leur donnera la victoire s'ils ont la foi, leur avait-il dit.

Le lendemain matin, un assaut général fut donné. Les défenses avancées du mur septentrional furent remportées, mais ils échouèrent devant le rempart principal faute d'échelles. Après plusieurs heures de combat, les croisés se replièrent, ayant subis de lourdes pertes.




Les croisés prenant d'assaut Jérusalem, miniature dans Les passages faits Outremer par les Français contre les Turs et autres Sarrazins et Maures outremarins de Sébastien Mamerot, 1490, Ms fr., no. 5594, fol. 88, Bibliothèque Nationale, Paris.

Ainsi, les barons décidèrent le 15 juin que des échelles et des engins de siège devraient être construits avant qu'un autre assaut pût être donné. Cependant, les matériaux nécessaires à la construction des machines manquaient et l'arrivée de six navires chrétiens à Jaffa, transportant le matériel nécessaire, fut un véritable soulagement. Des troupes furent envoyées vers le port afin d'en ramener l'équipement, mais elles tombèrent dans une embuscade et furent sauvées par l'intervention rapide de Raymond de Pilet. Sur ces entrefaites, une flotte égyptienne arriva devant Jaffa qu'elle bloqua. Un des navires chrétiens parvint à s'enfuir, tandis que les autres, une fois le matériel débarqué, furent abandonnés par leurs équipages. Les matelots, escortés par Raymond de Pilet, se rendirent à Jérusalem. Il ne manquait plus que le bois qui fut transporté des forêts lointaines de Samarie. Donc, Godefroi et Raymond purent commencer la construction de tours roulantes.


Par ailleurs, les conditions se détérioraient dans le camp des Francs. L'eau manquait, la nourriture se faisait rare, la chaleur était écrasante et les barons se disputaient déjà sur l'avenir de Jérusalem. Au début de juillet, la nouvelle parvint au camp du départ de l'armée fatimide d'Égypte. Les seigneurs cessèrent de se disputer et s'unirent afin de prendre d'assaut la ville le plus rapidement possible. Le moral de l'armée était bas et une autre vision d'un prêtre provençal, Pierre Desiderius, vint à la rescousse . Celui-ci affirmait avoir vu l'évêque Adhémar de Monteil qui ordonnait à l'armée de jeûner, puis d'effectuer une procession, pieds nus, autour de la ville. Alors, la ville tombera avant neuf jours. Les instructions furent suivies et le vendredi, 8 juillet, les croisés effectuèrent la procession, puis gravirent le mont des Oliviers afin d'entendre les prêches de Pierre l'ermite, Raymond d'Aguilers et Arnulf de Malecorne, chapelain de Robert de Normandie.



Siège et prise de Jérusalem, miniature dans Roman de Godefroy de Bouillon et de Saladin, XIVe siècle, B. N., Paris.

Finalement, les deux tours furent achevées le 10 juillet. Godefroi fit transporter la sienne du côté le plus faible, complètement à l'est du mur nord, devant le quartier juif. Pour sa part, Raymond installa sa tour sur le mont Sion. Une troisième tour, plus petite, fut amenée en face du coin nord-ouest. L'assaut fut donné pendant la nuit du 13-14 juillet. La journée entière du 14 fut passée à remplir le fossé afin de permettre aux tours d'accéder aux remparts. Tôt le matin du 15 juillet, la tour de Godefroi était en place, tandis que Raymond rencontrait une résistance farouche au sud.


Vers midi, deux chevaliers flamands, Letold et Gilbert de Tournai parvinrent les premiers dans la ville, suivis de près par Godefroi et son frère Eustache. Une fois une section du mur prise, de nombreuses échelles furent appliquées sur le rempart et un nombre croissant de Lorrains pénétrèrent dans la ville. Tancrède et ses hommes suivirent de près. Pendant que les Lorrains combattaient pour ouvrir la porte à l'armée principale, Tancrède pénétra dans les rues et se dirigea vers le secteur du Temple. Le gouverneur, qui se battait au sud de la ville en face de Raymond, se replia dans la citadelle, la tour de David, lorsqu'il apprit le succès des croisés au nord. Il entra en négociation avec le comte et lui proposa la citadelle et son trésor en échange d'un libre passage vers Ascalon pour son escorte et lui. Raymond accepta et lui fournit une escorte jusqu'à Ascalon. Les autres habitants ne furent pas aussi chanceux. Les croisés massacrèrent complètement la population musulmane et juive de Jérusalem.


   Siège et prise de Jérusalem selon Foucher de Chartres

   Siège et prise de Jérusalem selon l'Anonyme des Gesta Francorum

   Siège et prise de Jérusalem selon Guillaume de Tyr

   Siège et prise de Jérusalem selon Anne Comnène

   Siège et prise de Jérusalem selon Ibn al-Qalânisî

   Siège et prise de Jérusalem selon Ibn al-Athir

   Fragments de deux lettres juives écrites après la prise de Jérusalem




Godefroy priant au Saint-Sépulcre, miniature dans
Histoire d'Outremer de Guillaume de Tyr, XIIIe siècle,
MS 828, fol. 83r., Bibliothèque municipale , Lyon.


La croisade avait atteint son but, Jérusalem était redevenue chrétienne. Dès le 17 juillet, les barons rétablirent l'ordre dans la ville, firent nettoyer les rues des cadavres et planifièrent le retour des chrétiens orientaux expulsés. Aussi, on devait se préparer à l'arrivée de l'armée égyptienne et un roi devait être choisi. Le clergé protesta immédiatement, le besoin spirituel devait passer en premier, mais on ne trouvait pas de candidats convenables au patriarcat. D'ailleurs, plusieurs voulaient faire de la Terre sainte un patrimoine ecclésiastique. Toutefois, un gouverneur séculier devait être nommé.



Élection et couronnnement de Godefroi de Bouillon, Histoire de la guerre sainte de Guillaume de Tyr, XIIIe siècle, Ms fr., no. 5220, fol. 161, Bibliothèque de l'Arsenal.

Quatre candidats étaient possibles: Robert de Normandie, Robert de Flandres, Godefroi et Raymond. D'abord, les deux Robert désiraient retourner en Europe. Raymond était vieux, expérimenté et riche, mais ses collègues ressentaient ses prétentions et sa politique de coopération avec les Byzantins le rendait impopulaire auprès de plusieurs. Pour sa part, Godefroi était populaire, respecté et renommé pour sa piété et son courage. Les électeurs offrirent la couronne à Godefroi, mais celui refusa de ceindre une couronne d'or où le Christ avait ceint une couronne d'épines et prit le titre de Advocatus Sancti Sepulchri (Avocat du Saint-Sépulchre).Se sentant lésé, Raymond quitta pour Jéricho, où Robert de Normandie vint le rejoindre plus tard. On profita de l'absence des Provençaux pour élire le prêtre normand Arnulf de Malecorne au patriarcat.


En août, Godefroi dépêcha Tancrède et Eustache à Ascalon afin de reconnaître les forces fatimides et leurs mouvements. Le 9 août, il quitta lui-même Jérusalem en compagnie de Robert de Flandres pour aller à la rencontre de l'armée égyptienne devant Ascalon. Le 11 août, Raymond et Robert de Normandie les rejoignirent à Ibelin. L'armée franque arriva à l'aube du 12 devant la plaine d'Ascalon. L'armée fatimide ignorait que l'ennemi était si près et les batailles furent formées: Raymond à droite, à côté de la mer; les deux Robert et Tancrède au centre; Godefroi sur la gauche. Les Francs chargèrent les Égyptiens et les mirent en déroute complète. Le carnage et le butin pris furent énormes. Le vizir al-Afdal s'enfuit dans Ascalon d'où il prit un navire jusqu'en Égypte.


   Bataille d'Ascalon selon l'Anonyme des Gesta Francorum

   Bataille d'Ascalon selon Ibn al-Qalânisî

   Lettre de Daimbert, Godefroi et Raymond au pape


Le lendemain, l'armée revint triomphante à Jérusalem. La victoire d'Ascalon fut un complément à la prise de la Ville sainte. Elle assura la possession de la Palestine aux croisés. La Terre sainte était redevenue chrétienne, maintenant le problème résidait dans les façons de la conserver et de la gouverner, mais ceci est une autre histoire...


Références:

Le texte est basé sur Steven Runciman, " The First Crusade: Constantinople to Antioch " dans Kenneth M. Setton, dir., A History of the Crusades, Madison, The University of Wisconsin Press, 1969 (1955), vol.1, pp. 324-341; H. Hagemmeyer, " Chronologie de la première croisade ", Revue de l'Orient Latin, VI-VIII (1898-1901) et Jean Flori, " Un problème de méthodologie. La valeur des nombres chez les chroniqueurs du Moyen Age à propos des effectifs de la première croisade ", Moyen Age, 1993, pp. 399-422.

(1) Ce sont des chiffres exagérés, mais il faut les mettre en rapport avec les évaluations que ces mêmes chroniqueurs avaient données à Nicée. Raymond avait estimé l'armée à 300 000 hommes, tandis qu'Albert donnait 600 000, des nombres inexacts aussi. Toutefois, ces nombres peuvent nous indiquer un ordre de grandeur sur les pertes subies par les croisés entre Nicée et Antioche, soit le 2/3 chez Raymond, soit le 1/6 par l'épidémie seulement chez Albert. Voir Jean Flori, " Un problème de méthodologie. La valeur des nombres chez les chroniqueurs du Moyen Age à propos des effectifs de la première croisade ", Moyen Age, 1993, pp. 416-417.

(2) Cet épisode gêne encore plusieurs historiens des croisades qui omettent souvent de mentionner ces actes de nécrophagie.



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VIII. Autres documents


Le Coran vu par Pierre le Vénérable
Acculturation des Francs en Orient selon Foucher de Chartres
La fondation de l'Ordre des Templiers selon Guillaume de Tyr (en anglais)
La bulle d'Eugène III pour la deuxième croisade (1145)
La prise d'Acre par Richard Coeur-de-Lion et Philippe Auguste (1192), selon l'Itinerarium Peregrinorum


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Marc Carrier






IX. Index onomastique


Adhémar de Monteil, évêque du Puy: Mort à Antioche le 1er août 1098. Issu d'une famille noble de la région de Valence, il devint évêque du Puy en 1077. Il fut un des artisans de la réforme grégorienne et fut désigné par Urbain II comme légat de la première croisade.

Albert d'Aix: Chancelier et gardien de l'église d'Aix-la-Chapelle, il ne participa pas à la croisade, mais il écrivit un ouvrage intitulé Liber Christianae expeditionis pro ereptione, emundatione, restitutione sanctae Hierosolymitanae ecclesiae entre 1119 et 1125. Il rassembla ses informations auprès des pèlerins et des croisés revenant de l'expédition.

Alexis Ier Comnène: (1057 - Constantinople 15 août 1118), basileus de 1081 à 1118. Il commença sa carrière comme général sous Michel VII et Nicéphore III. Aidé de son frère Isaac, il se révolta contre Nicéphore III le 14 février 1081. Il prit la capitale le 1er avril et accéda au trône grâce au soutien de l'aristocratie militaire. Lors de sa prise au pouvoir, l'empire était en désordre et attaqué de tous les côtés. De 1081 à 1093, il battit les Normands, les Petchenègues et l'émir turc de Smyrne, Tzachas. Il consolida l'empire par diverses réformes et mesures.

Anne Comnène: (Constantinople 2 décembre 1083 -vers 1153/4), fille aînée d'Alexis Comnène, empereur de Constantinople de 1081 à 1118. Elle fut chassée de la cour en 1118, suite à une conspiration visant à mettre son époux, Nicéphore Bryenne, sur le trône. Son oeuvre compte 14 livres, les livres X à XIV sont consacrés à la première croisade. Anne est très bien informée, mais elle écrivait quarante ans plus tard, soit après 1148, et son ouvrage souffre des défauts qui caractérisent les mémoires, car elle n'hésite pas à faire un panégyrique de son père. Par contre, l'impression qu'elle ressentit jeune fille face à l'arrivée des croisés (elle était âgée de 13 ans) demeura vivace et démontre clairement l'attitude grecque envers la croisade et les croisés.

Anonyme: Les Gesta Francorum et aliorum Hierosolimitanorum sont une des sources fondamentales de la première croisade. Son auteur est un témoin oculaire dont le nom demeure inconnu. Originaire d'Italie méridionale, il représentait la classe moyenne des chevaliers croisés. De plus, un clerc semble l'avoir aidé dans sa rédaction. Son récit est marqué par sa sincérité, ses préjugés et ses préoccupations. La rédaction date du lendemain même de la croisade; Ekkehard le lisait à Jérusalem en 1101. Il y a quelques erreurs et oublis, mais son témoignage concorde presque continuellement avec les autres sources originales et indépendantes de son oeuvre, soit Raymond d'Aguilers, Foucher de Chartres, Albert d'Aix et les lettres d'Étienne de Blois, d'Anselme de Ribemont... Les Gesta furent beaucoup utilisés par les chroniqueurs contemporains: Tudebode les copia, Guibert de Nogent, Baudri de Dol et Robert le Moine se basèrent sur ceux-ci ou les mirent en plus beau langage, selon eux.

Anselme de Ribemont: Anselme, comte de Ribemont, se croisa en 1095 et mourut pendant le siège d'Archas (près de Tripoli) en février/mars 1099. Il nous a laissé deux lettres, adressées à Manassé, archevêque de Reims, qui racontent les événements de la première croisade jusqu'en juillet 1098, soit après la défaite de Kerbogha.

Atabeg: Officier supérieur turc nommé tuteur d'un prince seldjoukide.

Basileus: Titre officiel de l'empereur byzantin après 630.

Baudouin de Boulogne: (Mort le 2 avril 1118), fils d'Eustache II, comte de Boulogne, et frère de Godefroi de Bouillon. Il participa à la première croisade dans l'armée de son frère, de laquelle il se sépara pour fonder le comté d'Édesse. Il devint roi de Jérusalem à la mort de son frère en 1100 et fut couronné le 25 décembre 1100.

Baudouin de Bourg: (Mort le 21 août 1131), fils du comte Hugues de Rethel et cousin de Baudouin et de Godefroi. Il participa à la première croisade dans l'armée de son cousin. Il succéda à Baudouin comme comte d'Édesse en 1100, puis comme roi de Jérusalem en 1118.

Baudri de Bourgueil (ou de Dol): (Vers 1047 - 7 janvier 1130), moine bénédictin, il fut prieur et abbé de Saint-Pierre de Bourgueil de 1089 à 1107, puis élu archevêque de Dol, en Bretagne. Il était présent à Clermont et il écrivit un compte rendu très théologique de la croisade, vers 1108. Il se basa beaucoup sur les Gesta de l'Anonyme et se vantait dans sa préface d'avoir remis en beau langage l'oeuvre " rustique " de ce " compilateur anonyme ".

Bohémond de Tarente: (Vers 1057 - mars 1111 à Canossa, en Italie), fils de Robert Guiscard, fondateur de la principauté normande italienne. Il participa avec son père à la lutte contre Byzance et à l'éphémère conquête de la Macédoine (1081-1085). Il prit part à la croisade et se tailla la principauté d'Antioche. Il fut fait prisonnier par les Musulmans en 1100, puis libéré en 1103 après avoir conclu une alliance avec son geolier, l'émir Danichmend, contre les Byzantins et les Seldjoukides de Roum. Il retourna en Occident pour y chercher des renforts et combattit les Byzantins en Épire (1107), mais fut vaincu.

Cluny: (Saône-et-Loire) Abbaye fondée en 910 par le duc d'Aquitaine et le comte d'Auvergne, qui la placèrent sous l'autorité immédiate du pape. D'abord, elle adhéra à la règle de saint Benoît, puis l'abbé Odon (928-942) adopta la règle dite clunisienne. Directement soumise au Saint Siège, Cluny fut au XIe siècle l'instrument efficace du succès des institutions de paix et de la réforme grégorienne. Plusieurs papes et légats pontificaux sortirent de Cluny. Le réseau clunisien devint immense et puissant pendant ce siècle. Par contre, à la fin du XIe et au début du XIIe siècle, elle perdit de son influence spirituelle avec l'apparition de nouveaux ordres inspirés par un idéal de pauvreté.

Coloman: Roi de la Hongrie, de 1095 à sa mort en février 1114.

Daimbert de Pise: Évêque de Pise avant 1088 et archevêque en 1092, il dirigea une flotte pisane pendant la première croisade et devint partiarche de Jérusalem en décembre 1099. Il nous a laissé une lettre résumant les événements de la première croisade. Il mourut à Messine le 14 mai 1107.

Danichmendites: Deux dynasties nées de la première invasion turque de l'Anatolie, qui dut laisser ensuite leur place aux Seldjoukides de Roum. Son fondateur fut un certain émir Danichmend qui s'installa, après la victoire de Mantzikert en 1071, dans le nord-est du plateau central, près des villes de Sivas, Tokat et Amasya. Danichmend combattit les troupes croisées dès 1097 en s'alliant avec son ennemi Kilidj Arslan contre un adversaire commun. Il captura même Bohémond de Tarente en 1100, le libérant en 1103 après avoir conclu une alliance contre les Byzantins et les Seldjoukides de Roum. Cette dernière sera sans lendemain, car l'émir mourut en 1104. La principauté engloba, à son extension maximale, toute la Cappadoce dont les villes d'Ankara, Kayseri et Malatya. Les dynasties furent définitivement soumises aux Seldjoukides de Roum en 1178.

Église arménienne: Église indépendante, fondée au IVe siècle, considérée comme monophysite bien qu'elle ne se ralliat pas entièrement à cette doctrine. Le monophysisme est une doctrine qui ne reconnaît au Christ qu'une nature divine, contrairement au dogme catholique ou orthodoxe qui lui attribue deux natures, humaine et divine. À la fin des annéees 1190, une minorité d'Arméniens acceptèrent de se rallier à Rome.

Église jacobite: Église monophysite syrienne, nommée d'après Jacob Baradée qui réunit les monophysites syriens en une Église indépendante au VIe siècle. Le monophysisme est une doctrine qui ne reconnaît au Christ qu'une nature divine, contrairement au dogme catholique ou orthodoxe qui lui attribue deux natures, humaine et divine

Étienne de Blois: ( Mort à Ramla en mai 1102), fils de Thibaud III, comte de Champagne, de Blois, de Brie et de Chartres. Il participa à la première croisade, mais s'enfuit pendant le siège d'Antioche. Il revint en Orient, participa à une première expédition en 1101, mais celle-ci fut anéantie en août en Anatolie. Il réussit à s'échapper et revint à Constantinople. Finalement, en février 1102, il s'embarqua pour la Palestine. Il participa à la bataille de Ramla le 17 mai 1102. Face à des forces bien supérieures en nombre, le roi Baudouin chargea avec ses chevaliers, mais ils furent écrasés. Étienne parvint à trouver refuge dans la tour de Ramla avec d'autres chevaliers, mais après un court siège, les Francs effectuèrent une sortie et Étienne fut tué, ainsi que la plupart des chevaliers. Il écrivit plusieurs lettres à son épouse, Adèle de Normandie, fille de Guillaume le Conquérant, dont deux nous sont connues.

Eustache de Boulogne: Eustache III, fils aîné de Eustache II. Il devint comte de Boulogne vers 1093 et se croisa en 1096 avec ses frères. Il revint en Occident après la prise de Jérusalem et se fit moine à Rumilly (quand?) où il mourut en 1125.

Fatimides: Dynastie de califes chiites en Afrique du Nord, Égypte et Syrie, 909-1171, qui s'affirment les descendants de Fatima, fille du prophète Mahomet et épouse du quatrième calife, Ali.

Foucher de Chartres: (Vers 1058-1128), clerc originaire de Chartres. Homme intelligent et observateur, il participa à la croisade en tant que chapelain d'Étienne de Blois, puis de Baudouin de Boulogne. Il accompagna ce dernier à Édesse et ne participa pas au siège de Jérusalem. Il se trouvait au Concile de Clermont et c'est peut-être pourquoi il est le seul à omettre l'occupation musulmane de Jérusalem comme une cause de la croisade (il était absent au siège). Il fut suggéré qu'il possédât une copie des décrets de Clermont. Son histoire de Jérusalem est une chronique très vivante de la croisade et des premiers temps du royaume latin de Jérusalem (jusqu'en 1124).

Geoffroy de Vendôme: (Vers 1070-1132), moine bénédictin, abbé de la Trinité de Vendôme (1093), cardinal de Sainte-Prisque (1094), ardent défenseur de la réforme grégorienne et adversaire déclaré des investitures laïques.

Godefroi de Bouillon: (Vers 1060- Mort à Jérusalem le 18 juillet 1100), deuxième fils d'Eustache II, comte de Boulogne et d'Ide, fille de Godefroi le Barbu, duc de Basse-Lorraine et comte de Verdun. Il succéda à son oncle Godefroi à l'âge de 15 ans, lors de l'assassinat de ce dernier, comme comte de Verdun. L'empereur Henri IV donna le duché à son fils Conrad et donna en compensation Anvers à Godefroi.. Il aida l'empereur dans sa lutte contre la papauté et devint duc de Basse-Lorraine en 1087. Il dirigea une des armées de croisés et fut élu " avoué " (protecteur) du Saint-Sépulcre après la prise de Jérusalem en juillet 1099

Grégoire VII (Hildebrand): (Saint) (vers 1020-30 -25 mai 1085), pape de 1073 à 1085. Le Toscan Hildebrand se trouvait dès 1050 dans l'entourage des papes réformateurs. Il succéda à Alexandre II (1061-1073) en juin 1073. Son pontificat se caractérisa par la fameuse réforme " grégorienne " (d'où le nom); une lutte contre le trafic des bénéfices (notamment des évêchés), et une volonté de mettre fin au scandale dû à la situation des prêtres ou évêques mariés et en mal de pourvoir leurs enfants. Voir Investitures.

Guibert de Nogent: (1053-1125), issu d'une famille noble de Picardie, il prit l'habit au monastère de Flay et fut élu abbé de Nogent-sous-Coucy en 1104. Il reprit l'Anonyme et y ajouta des renseignements nombreux. Il écrivit avant 1108. De plus, il était probablement absent du concile de Clermont.

Guillaume de Tyr: (Vers 1130 à Jérusalem- Mort le 29 septembre 1186), issu d'une famille de la bourgeoisie française établie en Orient latin. Il étudia à Paris, puis à Bologne. Revenu en Orient, il devint archidiacre de Tyr et précepteur du futur roi Baudouin IV (1164). Il fut chancelier du royaume de Jérusalem (1174) et archevêque de Tyr (1175). Il est l'auteur d'une " Histoire des choses faites Outre-Mer", histoire remarquablement documentée et remplie d'analyses très fines du royaume latin de Jérusalem depuis la première croisade jusqu'en 1183. Son histoire est achevée en 1184.

Henri IV: Empereur du Saint-Empire Romain Germanique, (Goslar? 1050- Mort à Liège en 1106), empereur de 1084-1105, roi de Germanie depuis 1056, il s'engagea contre Grégoire VII dans la querelle des investitures et dut venir s'humilier à Canossa (1077); par la suite il s'empara de Rome (1084), mais son fils le contraignit à abdiquer en 1106.

Hugues de Vermandois (ou le Grand ou le Mainsné): (Vers 1057-1101), frère du roi Philippe I, donc le deuxième fils d'Henri I et de sa deuxième femme, Anna, une princesse de Kiev. Il obtint ses possessions féodales en épousant la fille du comte de Vermandois et devint lui-même comte en 1080 Il se croisa en 1096 et fut envoyé comme délégué auprès du basileus byzantin après la prise d'Antioche. Il retourna en Europe, mais revint en 1101 et participa à une expédition de renfort. Celle-ci fut anéantie à Héraclée en septembre et Hugues, blessé au genou, parvint à se sauver à Tarse où il mourut le 18 octobre 1101.

Ibn al-Athîr: Izz ad-Din Ibn al-Athîr, (555/1160- Mort à Mossoul en 630/1233), issu d'une famille de lettrés irakiens. Son oeuvre principale est le Kâmil at-Tawârîkh (Histoire parfaite ou Somme des histoires). C'est une vaste histoire de tout le monde islamique, depuis la période préislamique jusqu'à l'année 1231. Son oeuvre se démarque par sa largeur et son équilibre de la conception, la variété de matériaux historiques et de la personnalité de sa vision historique qui font d'Ibn al-Athîr, selon F. Gabrieli, le seul véritable historien arabe de cette période. Par contre, l'auteur se montre favorable face à la dynastie zenghide (Zinkî et Nûr ad-Din), inexact dans sa chronologie et d'une liberté excessive dans le maniement de ses sources. Pour l'histoire de la première croisade, il utilisa Ibn al-Qalânisî.

Ibn al-Qalânisî: Abû Ya'la Hamza ibn Asad at-Tamini, dit Ibn al-Qalânisî, (Damas vers 465/1073- Mort en 555/1160). C'est le plus ancien historien arabe des croisades par sa chronique connue sous le nom de Dhail tâ'rikh Dimashq (Suite de l'histoire de Damas). Son histoire, du moins celle qui nous est parvenue, couvre la période de 974 à 1160 et est une chronique événementielle de l'histoire de la Mésopotamie, surtout de la Syrie et de Damas. L'auteur remplissait des fonctions administratives et municipales à Damas. La valeur de son histoire tient au fait que l'auteur est un témoin oculaire des première et deuxième croisades. La narration est circonstanciée et fidèle, avec quelque partialité en faveur des émirs damascènes.

Investitures (Querelle des): Lutte entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel. Elle débuta sous le pontificat de Grégoire VII lors de son projet de réforme. Ce dernier voulait dégager l'Église de toute emprise laïque et féodale et s'opposaient à ce que les clercs reçoivent leur temporel d'une autorité séculière. Ceci mena le pape en conflit direct avec l'empereur du Saint-Empire qui tenait à ces investitures (le droit de conférer aux évêques et abbés les insignes d'autorité). Cette lutte inclut aussi celle contre la simonie (l'achat ou la vente des bénéfices ecclésiastiques) et le nicolaïsme (refus du célibat ecclésiastique). La papauté l'emporta en 1122 par le concordat de Worms.

Kilij Arslan Ier: Connu des croisés sous le nom de Soliman (Sulaymân), fils de Sulaymân b. Kutlumush, second prince seldjoukide d'Asie Mineure. Son père fut tué dans une bataille contre Tutush et Kilidj fut livré en otage à Malikshâh. À la mort de ce dernier, en 1092, Kilidj s'échappa et revint à Nicée, ancienne résidence de son père et se fit reconnaître comme suzerain. Il favorisait une politique d'entente avec le basileus Alexis Comnène. Il dut se battre contre les premiers croisés, perdit sa capitale et s'installa à Konya (Iconium).

Manuel Boutoumitès: Duc de la flotte byzantine en 1090, duc de Nicée après sa reprise en 1097, il fut commandant en Cilicie en 1105 et ambassadeur à Jérusalem en 1111/1112. Il a peut-être été gouverneur de Chypre.

Michel VII Doukas: (1050-1090), basileus de 1071-1078. Fils de Constantin X, il gouverna comme co-empereur avec Romain IV Diogène. Après la défaite et la capture du basileus Diogène à Mantzikert, le césar Jean Doukas le mit sur le trône. Michel VII fut un empereur inactif. Pendant son règne, une alliance fut tentée avec Robert Guiscard en 1074 et des négociations entreprises avec le pape Grégoire VII pour la réunion des deux églises n'aboutirent à rien. Aux prises avec plusieurs révoltes, Michel abdiqua le 31 mars 1078 lorsque la victoire de Nicéphore Botanéiatès était certaine et il entra dans un monastère.

Nicéphore Botanéiatès: (1001/02-1081), basileus de 1078 à 1081. Général sous le basileus Constantin IX, il aida la rébellion d'Isaac Comnène, puis se révolta lui-même en Anatolie en octobre 1077. Avec l'aide des Turcs seldjoukides, il battit les troupes de Michel VII et entra à Constantinople le 3 avril 1078. Il fut couronné le 2 juillet. Déjà d'un âge avancé, il se fia beaucoup sur Isaac et Alexis Comnène. Ce dernier se rebella et prit la capitale. Nicéphore abdiqua le 4 avril 1081 et se retira dans un monastère.

Ordéric Vital: (1075-vers 1141), d'origine anglaise, il fut moine à l'abbaye normande de Saint-Évroult-en-Ouche (1085). Il écrivit une Histoire ecclésiastique, qu'il débuta avant 1115 et acheva en 1141.

Ousâma Ibn Mounqidh: (Shaizar 1095- Damas 1188), il vécut presque un siècle et fut un témoin de la montée en puissance du monde islamique face aux États latins d'Orient. Homme d'action et de plume, chevalier et chasseur, littérateur et courtisan, politique intriguant, il résida à Shaizar, Damas et au Caire. Il séjourna même à Jérusalem en mission diplomatique. Donc, il eut la chance de nouer des relations avec les émirs de Syrie, les Francs et les califes fatimides d'Égypte. Ousâma nous a laissé une autobiographie et nous permet ainsi de voir l'histoire des croisades d'une vision différente. Au travers de ses yeux, de ses préjugés et de sa pensée, nous pouvons voir de quelle façon il percevait ces étrangers venus d'Occident.

Paix de Dieu et Trêve de Dieu: Celles-ci furent de véritables institutions mises en place par l'Église aux Xe et XIe siècles. Elles étaient la mise hors guerre des populations non combattantes et l'interdiction des combats à certaines périodes et certains jours. Elles se firent avec le consentement des princes laïcs, pour limiter les guerres et en réduire les effets aux seuls protagonistes. La première ébauche de la paix de Dieu est procurée aux conciles de Charroux (989) et de Narbonne (990). Il s'agissait de protéger les clercs, les laboureurs, les pèlerins et les marchands, ainsi que leurs biens. La trêve de Dieu fut inventée lors du concile de Perpignan (1027): elle interdisait le combat pendant l'avent, le carême et le jour de Pâques, puis tous les dimanches, et parfois du jeudi au dimanche, voire pendant tout le temps pascal.

Pauliciens: Une secte dualisme originaire d'Asie Mineure pendant la deuxième moitié du VIIIe siècle. La première communauté fut fondée en Arménie sous l'empereur byzantin Constantin IV (641-668). Ils furent appelés pauliciens à cause de leur grand amour pour les écritures de saint Paul ou à une certaine similitude de leur doctrine avec celle de Paul de Samosate. Les pauliciens prônaient un dualisme absolu, centré sur les deux principes suprêmes du bien et du mal et en conflit éternel pour le monde. De plus, ils ne voyaient pas de victoire finale du bien sur le mal dans cette lutte. Pour leur croyance religieuse, ils furent amenés en conflit avec l'Empire byzantin et furent persécutés et exilés. Le basileus byzantin Jean Tzimiscès (969-976) réinstalla une colonie de Pauliciens en territoire bulgare où celle-ci se mêla avec les Bogomiles. La secte disparut finalement, probablement durant le XIIe siècle.

Petchenègues: Peuple nomade d'origine disputée qui quitta l'Asie Centrale pour le bassin de la Volga où il fit son apparition au IXe siècle. Après des combats contre les Khazars et les Hongrois, les Petchenègues s'installèrent dans la steppe entre le Don et le Danube. Les Byzantins les employèrent comme alliés et mercenaires, mais ceux-ci se retournèrent contre leurs employeurs. Le basileus Alexis les écrasa à la bataille du mont Lebounion en 1091 et Jean II Comnène donna le coup de grâce en 1122. Au XIIIe siècle, ils disparurent en tant qu'entité indépendante.

Philippe Ier: Roi de France, (1052- Melun 3 août 1108), fils d'Henri Ier et d'Anne de Kiev. Il fut sacré en 1059 et succéda à son père en 1060. Il se maria avec Berthe de Hollande, puis à Bertrade de Montfort, qu'il avait enlevé à son mari, Foulque le Réchin, comte d'Anjou. Cela le mena en conflit avec l'Église, en plus de son opposition à la réforme grégorienne et il fut excommunié, expliquant son absence de la croisade.

Pierre l'Ermite: (Mort en 1115), originaire de la Picardie, il était un ermite et un prédicateur errant échappant au contrôle de la hiérarchie ecclésiastique. Après l'échec de la croisade " populaire ", il se rallia à la croisade des barons. Il aurait, à son retour en Europe, fondé le monastère de Neufmoutier, près de Huy.

Raymond d'Aguilers: Raymond fut le chapelain du comte Raymond de Saint-Gilles et l'accompagna pendant la croisade. L'auteur développa rapidement des préjugés contre les Byzantins, il était crédule et naïf, mais se montra plus intéressé que les autres chroniqueurs par les pauvres pèlerins. Il commença à écrire en 1098 et termina probablement en 1099.

Raymond IV, comte de Saint-Gilles: (Toulouse 1042- Mont Pèlerin 28 février 1105). Dès 1087, Raymond combattait les Maures en Espagne. L'année suivante, il succéda à son frère Guillaume qui lui vendit le comté de Toulouse. Il participa à la première croisade où il commandait une des quatre armées. Après la croisade, il commença à se tailler le comté de Tripoli, mais il mourut pendant le siège de la ville de Tripoli.

Robert I de Flandre ou Robert le Frison: Devint comte de Flandres après la mort de Baudouin VI en 1070 jusqu'à sa mort en 1093. Il effectua un pèlerinage à Jérusalem (entre 1087 et 1090) et lors de son retour, rencontra le basileus Alexis Comnène à qui il promit et envoya 500 cavaliers flamands.

Robert II de Flandre: Fils de Robert I le Frison. Il devint comte de Flandres en 1093, se croisa et dirigea un des contingents de la première croisade. De retour en Occident, il mourut dans la Marne le 4 décembre 1111.

Robert de Normandie ou Courte-Heuse (Courte-Cuisse): (vers 1054-1134), fils aîné de Guillaume le Conquérant, il reçut le duché de Normandie en 1087 tandis que son cadet, Guillaume le Roux, eut le royaume insulaire. Il se croisa et dirigea un des contingents de croisés pendant l'expédition. Il revint en Occident après la prise de Jérusalem. Son troisième frère, Henri Beauclerc, occupa le trône d'Angleterre lorsque Guillaume mourut pendant l'expédition de renfort en Asie Mineure (2 août 1100). Henri s'empara de la Normandie en écrasant son frère Robert à la bataille de Tinchebray (28 septembre 1106) et l'emprisonna à Cardiff (Glamorgan). Robert mourut en prison en 1134.

Robert Guiscard: (vers 1015- 17 juillet 1085 à Céphalonie), fils de Tancrède de Hauteville, il rejoignit ses frères Guillaume, Dreux et Onfroi en Calabre vers 1046. Ceux-ci étaient occupés à conquérir des terres pour leur propre compte. Il se bâtit une principauté aux dépens des Byzantins et de la papauté, capturant même le pape Léon IX. Plus tard, le pape Nicolas II l'appuya, lui concéda la Pouille, la Calabre et la Sicile qu'il devait conquérir des Byzantins et des Sarrasins. Maître de sa conquête en 1072, Robert organisa le nouvel État normand et son frère Roger reçut le comté de Sicile. Il porta même la guerre en Grèce et dans les Balkans en 1081, accompagné de son fils Bohémond. Il dut revenir en Italie pour secourir le pape Grégoire VII au prise avec Henri IV (1084) et il mourut lors d'une nouvelle expédition en Dalmatie.

Robert le Moine (ou de Reims): Robert était moine de Marmoutier, puis abbé de Saint-Rémi de Reims et, après une dispute, se retira au prieuré de Serruc. Dans sa préface, il dit que ce fut à la requête de l'abbé de Marmoutier, Bernard (mort en 1107), qu'il transcrivit, en comblant les lacunes et en la mettant sous une forme plus correcte, une histoire qui omettait le Concile de Clermont. Ainsi, il dépendit étroitement du texte de l'Anonyme. Son ouvrage fut composé avant 1107. De plus, Robert était présent à Clermont.

Saint-Jacques-de-Compostelle: L'un des pèlerinages les plus fréquentés de la chrétienté occidentale était celui de Compostelle auprès de la dépouille de saint Jacques le Majeur, qui aurait été déposée là miraculeusement. Ce pèlerinage fut fréquenté dès le Xe siècle, et prit la première place parmi les pèlerinages autres que locaux à partir du XIe et surtout au XIIe siècles.

Schisme de 1054: dit schisme d'Orient. C'était un conflit qui se solda par la séparation entre l'Église orientale et l'Église romaine. Une première rupture eut lieu de 863 à 867 sous le patriarche Photios. La scission définitive se fit en 1054, lorsque le patriarche Keroularios excommunia le pape Léon IX après avoir été excommunié par lui. Ces mesures ont été levées de part et d'autre en 1965, mais l'union n'a toujours pas été rétablie.

Seldjoukides ou Saldjuqides: Une dynastie turque nommée d'après un ancêtre appelé Seljuk. Lors de la grande migration des Oghuz au XIe siècle, Seljuk quitta la région de la mer Aral vers l'ouest. Ses successeurs s'établir au Khorassan et conquirent la Perse. Le petit-fils de Seljuk, Tughrul Beg, devint sultan de Baghdad, devenue la capitale de l'État seljuk. Son successeur Alp Arslan battit l'armée byzantine à Mantzikert en 1071 et établit le sultanat de Roum à Nicée.

Tancrède: Neveu de Bohémond de Tarente, (1075- Antioche 12 décembre 1112), il fut le commandant adjoint de l'armée de son oncle lors de la croisade. Il tenta de fonder un comté en Cilicie pendant la marche anatolienne et participa aux prises d'Antioche et de Jérusalem. Il devint prince de Galilée en 1099 et assura la régence d'Antioche lors de la captivité, chez les Turcs, de son oncle. Lors du départ de ce dernier pour l'Occident en 1104, il redevint régent de la principauté jusqu'à sa mort.

Tatikios: (1057- 1099), fils d'un Sarrasin, probablement d'un Turc. En 1078, il combattit aux côtés d'Alexis Comnène contre Nicéphore Basilakès. Il commanda des forces byzantines contre les Normands en 1081 et dirigea des expéditions contre les Turcs et les Petchénègues entre 1086 et 1094. Il accompagna les croisés lors de la première croisade, participa aux sièges de Nicée et d'Antioche, et ce fut au courant de ce dernier qu'il fut forcé de se retirer en février 1098. Il fut mentionné pour la dernière fois comme commandant naval contre des maraudeurs pisans en 1099. Il était entièrement dévoué au basileus Alexis.

Theodore Skutariotes: Né en 1230, il était un fonctionnaire ecclésiastique et métropolitain de Kyzikos (Balkiz actuel près d'Erdek, sur la côte sud de la mer de Marmara) de 1277 à 1282. Il fut ambassadeur à Rome en 1277 et déposé de son siège en 1282. Il est l'auteur d'une chronique anonyme préservée à Venise et copiée par Jean Argyropoulos. Cette chronique est une histoire de la Création à 1261.

Thoros: Il commença sa carrière comme fonctionnaire byzantin, puis devint un des principaux lieutenants de l'Arménien Philarète, qui avait dirigé la région englobant la Cilicie jusqu'à Édesse entre 1078 et 1085. Thoros avait repris Édesse des Turcs en 1094 et la tenait comme fief du sultan seldjoukide.

Urbain II: (Bienheureux), Eudes de Châtillon (vers 1042- 29 juillet 1099). Élève à Reims, archidiacre d'Auxerre, puis moine à Cluny (1070). Grégoire VII le fit venir à Rome. Cardinal évêque d'Ostie (1078), légat en France et en Allemagne, il y poussa la réforme grégorienne et présida plusieurs conciles. Élu pape en mars 1088, il affronta le schisme impérial, dont il triompha avec l'aide de Conrad, fils d'Henri IV. Il poursuivit la réforme de GrégoireVII, multiplia les condamnations contre les investitures laïques et la simonie. Présida le concile de Clermont où il y prêcha la croisade, vue comme un moyen d'unifier la chrétienté occidentale sous l'autorité pontificale.

Victor III: (Bienheureux), Desiderio da Montecassino, (Bénévent v. 1027- Mont Cassin 1087), élu pape en 1086 et sacré en 1087. Il poursuivit l'oeuvre réformatrice de Grégoire VII.



Références:

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X. Articles traitant de la première croisade



Concile de Plaisance


D.C. Munro, " Did the Emperor Alexius I Ask for Aid at the Council of Piacenza? ", American Historical Review, XXVII (1922), pp. 731-733.


Concile de Clermont et origine de la croisade


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Pierre l'Ermite et l'origine de la croisade


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Jean Flori, " Faut-il réhabiliter Pierre l'Ermite? (Une réévaluation des sources de la première croisade) ", Cahiers de civilisation médiévale, XXXVIII (1995), pp. 35-54.


Byzance et le recrutement de mercenaires francs


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La bataille de Mantzikert et ses conséquences


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La croisade populaire


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Étude sur certains participants de la première croisade


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Articles divers traitant de la première croisade


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James A. Brundage, " The Votive Obligations of Crusaders: the Development of a Canonistic Doctrine ", Traditio, XXIV (1968), pp. 77-118.

James A. Brundage, " The Army of the First Crusade and the Crusade Vow: Some Reflections on a Recent Book ", Mediaeval Studies, XXXIII (1971), pp. 334-343.

M. Bull, " The Roots of Lay Enthousiasm for the First Crusade ", History, LXXVIII (1993), pp. 353-372.

Claude Cahen, " An Introduction to the First Crusade ", Past and Present, (1954), no. 6, pp. 6-29.

Peter Charanis, " Aims of the Medieval Crusades and How they Were Viewed by Byzantium ", Church History, XXI (1952), pp. 123-134.

William M. Daly, " Christian Fraternity, the Crusaders, and the Security of Constantinople, 1097-1204: the Precarious Survival of an Ideal ", Mediaeval Studies, XXII (1960), pp. 43-91.

James H. Forse, "Armenians and the First Crusade", Journal of Medieval History, 17 (1991), pp. 13-22.

Jean Flori, " Mort et martyre des guerriers vers 1100. L'exemple de la première croisade ", Cahiers de Civilisation médiévale, no. 34, (1991), pp. 121-139.

Jean Flori, " Un problème de méthodologie. La valeur des nombres chez les chroniqueurs du Moyen Age à propos des effectifs de la première croisade ", Moyen Age, 1993, pp. 399-422.

John France, " The Crisis of the First Crusade from the Defeat of Kerbogha to the Departure from Arqa ", Byzantion, XL (1970), pp. 276-308.

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Henri Glaesener, " L'escalade de la tour d'Antioche ", Revue du Moyen Âge latin, vol. 2 (1946), pp. 139-148.

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Arié Serper, " La prise de Nicée d'après la 'Chanson d'Antioche' de Richard le Pèlerin ", Byzantion, XLVI (1976), pp. 411-421.

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Lewis A. M. Sumberg, " The 'Tafurs' and the First Crusade ", Mediaeval Studies, XXI (1959), pp. 224-246.


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Marc Carrier

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